Critique originale sur Le Mag du Ciné.
Après le puissant Le ciel attendra ou encore Les cowboys, la radicalisation est un thème dont les cinéastes se sont intégralement emparés ces dernières années. Art toujours à l’image d’une société qu’il décrit, le cinéma s’aventure sur le terrain glissant de la radicalisation en partant très (trop ?) souvent d’une conversion subite à l’islam, sujet à risque qu’André Téchiné a tenté de s’approprier.
Habitué à explorer l’intimité de ses personnages, Téchiné prend avec ce film un virage intense dans son cinéma. L’adieu à la nuit est un film froid rempli de distance où tout se joue dans la retenue et les non dits, et la violence de ces mots et sentiments avortés. À en devenir souvent oppressant, le cinéaste reste finalement dans son domaine en interrogeant la construction de ses personnages dans leur profondeur mais là où le processus change, c’est qu’il ne donne jamais de réponse, il n’offre jamais au spectateur ce qu’il attend de ces protagonistes. Là où d’habitude, les réflexions fleurissaient, ici, il n’y a que des ébauches et un désarroi profond. Nombreux sont les témoignages des familles impuissantes qui assistent au départ de leurs proches pour faire le djihad, et c’est ce que Téchiné fait de son public à travers ce film. En choisissant un rythme de montage très rapide, des dialogues parfois vains et coupés, il plonge l’audience dans l’incompréhension et dans ce sentiment d’être totalement désemparé face à la situation. Malgré quelques erreurs de coupes ou de cadrages qui, à défaut d’être trop souvent en mouvement, perdent parfois en pertinence, le réalisateur finit par entraîner, même les plus adeptes de son art, dans sa nouvelle forme de cinéma.
Il n’y a rien de plus difficile au cinéma pour des acteurs et un réalisateur que de montrer ce qui ne peut être vu ou dit, et pourtant pendant toute la durée du film, c’est ce à quoi on a la sensation d’assister. Quelque chose d’insaisissable, d’inarrêtable, et pire, d’ineffable. Montrer le schéma de pensée brutal et radical est parfois difficile à trouver et André Téchiné a finalement fait tous les bons choix pour y parvenir dans sa mise en scène. Celle-ci déstabilise au début, déçoit même quand on est fidèle à ce qu’il fait habituellement car la vitesse du développement de la radicalité est délicate à saisir mais le réalisateur, et c’est ce qui fait finalement de lui un excellent artiste, adopte toutes les positions nécessaires pour la raconter, sans jamais s’égarer dans des faits sociologiques ou trop contextuels, ce n’est pas le propos du film.
L’Adieu à la nuit n’a pas pour but de parler des djihads en tant que tels ou du terrorisme. Téchiné, en bon psychologue du cinéma, s’interroge plutôt sur la vitesse à laquelle les idées se propagent et passent aux actes et aux décisions radicales, mais surtout et c’est là le grand coup de grâce du film, sur le sentiment déconcertant qu’il reste aux familles désarmées. C’est dans le personnage de Catherine Deneuve qu’il met toute cette impuissance et l’actrice se saisit du rôle avec le talent qu’on lui connaît, qu’il fait du bien à retrouver enfin à l’écran grâce à un rôle fort à sa hauteur. Le réalisateur semble donc, comme un hommage, quand on connaît leur complicité, lui offrir ce rôle taillé pour elle, et en faire le sujet principal d’un film, dont le noeud ne se défait pas.