La comédie dénonciatrice ou l'objet burlesque charmant

Les films de Louis de Funès, à certains égards, constituent notre Disney français. De ses trois décennies dorées, il y a toujours un point commun : le monde dans lequel il évolue est à la fois loufoque (surtout visuellement) et terriblement imprudent ; dans "L'aile ou la cuisse", un homme peut survivre en étant transformé en gâteau géant dans un four, la police n'existe pas (ou bien c'est pour se faire bizuter sur la route), et je parle même pas du respect des lois du travail ! Mais il fait rêver ce monde. Un monde qui gravite autour du personnage de Funès, assassin professionnel de tous les écrans, devenu tellement culte en France qu'il a su, à lui seul, remonter le moral de beaucoup de Français lors du premier confinement du Covid-19, comme l'atteste les audiences (qui sont, de toutes façons, toujours favorables à l'ami Louis). Un monde et un personnage où Molière se ressent partout, où l'inventivité gestuelle est reine, et où la France d'alors est retranscris avec un rétro irrésistible. Il y a même certains gros points communs scénaristiques, comme des passages en voiture survoltés, une "servante" soit crucruche soit transparente (hem), ou encore des gimmicks d'acting indissociables de l'acteur. Maintenant, pour les films en eux-mêmes, il y a toujours eu pour moi deux catégories : les films qui se sont bâtis sur une histoire, et ceux qui se sont bâtis sur Louis de Funès. Dans cette première catégorie, vous avez bien entendu la quadrilogie avec Gérard Oury, "Oscar" ou, dans une certaine mesure objective, "La soupe aux choux" (puisque c'est le seul film où il se dévoile un peu, lui, et montre ce qu'il aurait pu donner comme acteur dramatique -parce qu'il n'y a pas que des pets dans ce film-, mais c'est une autre histoire). Tous utilisent l'acteur comme moteur, mais toujours incluant un bolide de compétition. Dans la seconde, vous avez "Les grandes vacances", très représentative de ça (sans déconner, qu'est-ce que c'est médiocre), les suites du "Gendarme" (et c'est pas une opinion hein, c'est la raison pour laquelle Jean Lefebvre est parti), ou "Hibernatus" : là, De Funès n'est pas le moteur, c'est la voiture elle-même, sans lui le film a moins d'intérêt que "Nus sur la Lune" (nanar rarissime que je vous recommande). Ce ne sont pas forcément des films déplaisants, mais ils sont ultra-anecdotiques, alors pourquoi le spectateur ne se régalerait pas à nouveau d'un "Rabbi Jacob" plutôt que de revoir De Funès essayer d'imiter l'accent anglais ?
"L'aile ou la cuisse" est un cas particulier. C'est le come-back de l'acteur, après ses soucis de santé préoccupants, qui rendront carrément ses tournages très compliqué à cause de ses heures imposées de travail. Tout le monde était unanime à la sortie du film : de Funès ne peut plus faire l'explosion du nez dans "Oscar" comme avant. Mais pour moi, quelque chose saute clairement aux yeux : il donne tout quand même. Et il est toujours aussi excellent, comme dans les autres films des années 80 (que j'apprécie vraiment personnellement, sauf le dernier Gendarme bien entendu). Autre chose a fait beaucoup parler, et encore des décennies après, continue à ahurir : le duo avec Coluche. Deux Frances des Seventies-Eighties à eux seuls qui fraternisent. Une alchimie improbable mais qui fonctionne, la droite et la gauche qui travaillent au nom de la dignité culturelle Française, autant appréciable d'un point de vue enfantin que dans son sous-texte adulte (le gag du Président de la République ou son commentaire sur le costume Académicien pour Coluche, tout le passage où De Funès parle de la restauration asiatique...). Après autant d'années, c'est devenu une vraie carte postale nostalgique et drôle à la fois, ce duo. Pourtant, ce n'est pas Coluche le partenaire qui m'épate le plus dans ce film. C'est Julien Guiomar, toujours second couteaux, mais pour des étalons comme Lino Ventura ou dans des films underground comme "Equateur" de Gainsbourg. Exigence nécessaire que nécessite pas du tout ce genre de production, où Tricatel est volontairement aussi subtil qu'un Piccolo encerclé d'éclairs sur fond d'orgue de Bach. Mais Guiomar décide de jouer le personnage comme un équivalent maléfique de Duchemin, en restant dans le même registre de jeu que son adversaire. Et il est, à ma connaissance, le seul à avoir réussi cela. Il gigote de partout comme lui, il insiste sur les prononciations comme lui, il est aussi expressif que lui : il est à la hauteur de la star. Je dis château.
Quant au film, qu'on a tous déjà vu 1000 fois comme les dessins animés Disney, il est constamment porté par une forte insouciance quant à sa propre diégèse. Difficile de faire plus film familial que celui-ci ! C'est finalement cette insouciance qui fait le plus rire, qui incite à ne pas prendre la vie trop au sérieux et surtout à faire les choix que l'on aime (noble démarche -bonjoûûûr). Insouciance qui côtoie pourtant la dénonciation du début d'un grave problème qui n'a fait qu'enfler par la suite, à savoir l'industrialisation de la bouffe, qui rend la nourriture finalement rare pour les classes populaires. Je trouve que ce sont deux propos qui ont réussis à s'équilibrer, ils ne s'écrasent pas tant. Par contre, on peut reprocher certains choix qui déstabilisent les deux intentions : pour l'insouciance, on notera que le père Duchemin sacrifie facilement son fiston, pour la dénonciation, ça serait cool de ne pas le faire via une infraction éhontée tout de même (Michael Moore avant l'heure). Mais globalement, "L'aile ou la cuisse" est rythmé comme une symphonie gastronomique (la musique est d'ailleurs nickel), que la mise en scène de Claude Zidi souligne avec une discrétion bienvenue, et ainsi il obtient son objectif : être divertissant comme critique. Bien sûr, il peut paraitre comme désuet, un objet burlesque charmant (pour ne pas dire nanar, puisque cela ne signifie pas cela), justement pour cet état d'esprit si simple qui caractérise les films de Funès. C'est vrai que certains plans font sourire pour cette raison là. Mais un sourire reste un sourire, n'est-ce pas ?


Cette critique est dédiée à Jean-Paul Belmondo, dont la mort a été annoncée pendant que j'écrivais cette critique. Tout fout le camp bonne dame ; qu'est-ce qui va nous rester... RIP Bébel, fais chier.

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le 6 sept. 2021

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Billy98

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