L'Amour ouf
6.6
L'Amour ouf

Film de Gilles Lellouche (2024)

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J’avoue que je n’allais pas voir ce film avec les meilleures intentions du monde. Quand Lellouche joue des rôles graves et dramatiques, il tombe à peu près systématiquement à côté de la plaque. Les scènes de gueulante moralisatrice qu’il pousse dans plusieurs de ses films et dont chaque syllabe sonne faux m’avaient rendu l'acteur assez antipathique. Mais combien de fois ai-je été agréablement surpris par un film dont j’attendais le pire ? Après tout, il y a des cinéastes de talent moyen qui pourraient obtenir quelque chose de sympathique avec un casting cinq étoiles comme celui de L’Amour ouf, ne serait-ce qu’en effaçant son style, quitte à avoir des cadres un peu plats mais dans lesquels on laisse au moins aux comédiens la possibilité de s'amuser, à la manière Blier. Malheureusement, quand Lellouche passe derrière la caméra, c’est pire que tout. Pire que tout, parce que de fait, c’est du niveau d’un téléfilm, mais ça prétend être bien plus.


Il faut imaginer un mélange de thriller et de comédie romantique dans laquelle chaque scène est prise sous l’angle du cliché, où chaque plan est une image d’Épinal. Lellouche a fait une espèce de florilège de ce qu’il faut faire pour faire un film de genre, pour peu que ce mot ait un sens. On peut donner une poignée d’exemples, mais il faut se représenter que presque tout y passe : le moment du coup de foudre, avec le temps qui se suspend et le monde entier qui s’évanouit quelques instants autour des personnages ; la première apparition du mafieux, dont le visage est maintenu dans l’ombre jusqu’à ce que l’allumage d’une cigarette vienne l’éclairer ; les amoureux qui se tiennent la main à l’avant d’un train, image qui surgit de nulle part, qui n’est pas amenée, qui est juste lancée comme ça parce qu’il faut la faire ; le fait que, lorsque le récit prend une tournure dramatique, la nuit et la pluie se mettent à tomber en l’espace d’un cut ; l’homme battu dans un parking qui se relève avec la caméra en vue subjective, les sons environnants étouffés et le bruit de sa respiration haletante ; etc. Le récit lui-même est absolument convenu de bout en bout. Le problème n’est pas une trame générale déjà vue, le problème est que rien ne surgisse là-dedans, on nous a raconté cette histoire huit cents fois, et on en a là la version la plus remâchée : l’appel désespéré dans la cabine téléphonique, les dix années de taule et tout ce qui suit, on connaît tout ça, absolument tout.


Le pire est que malgré cette absence d’inventivité absolue, le tout est lissé à l’extrême par de la musique omniprésente, et montée avec les images pour faire quelque chose qui ressemble bien plus à un clip musical qu’à un film. On n'a donc littéralement rien à l’écran, le peu de choses que l’on peut attraper, c’est grâce à quelques comédiens qui donnent tout ce qu’ils ont pour glisser un peu de leur personnalité dans le rôle. Malgré ça, on n’aura sans doute jamais vu Alain Chabat aussi peu inspiré. Jean-Pascal Zadi est probablement celui qui tire avec le plus de facilité son épingle du jeu, bien que sa version adulte ne soit de fait pas très raccord avec la personnalité qu’il avait adolescent. Le duo principal, dans sa version jeune, joue plutôt bien aussi, mais ce sont des personnages extrêmement scolaires, dont il faut quand même noter que l’un a un meilleur pote noir et l’autre, une meilleure amie grosse, ces deux-là finissant ensemble aussi d’ailleurs. Lellouche nous sert alors l’un des travellings de plus mauvais goût qui soient, démarrant sur le couple noir/grosse assis sur un banc et les écartant immédiatement du cadre pour se poser sur le couple canon de Jackie et Clotaire. Au secours. Inutile de préciser que ce travelling de quelques secondes n’est pas un plan dans une scène, mais juste une image relevant du lieu commun lancée comme ça, au milieu d’un enchaînement musical.


La musique est de ce fait un moyen très pratique pour éviter à Lellouche de tourner des scènes un peu compliquées, un peu moins évidentes. On peut prendre par exemple le moment où le personnage d’Adèle Exarchopoulos rencontre Vincent Lacoste. Dans une logique parfaitement manichéenne, celui-ci est un parfait connard du début à la fin, connard que l’on tuera d‘ailleurs le moment venu et qui disparaîtra dès lors de l’univers du film, ne laissant aucune trace, aucun traumatisme à celle qui s’est trouvée obligée de lui fracasser le crâne. Lors de cette première rencontre, il se comporte déjà comme la pire des enflures avec elle, lui fait même perdre son travail, puis, dans un élan romantique, il va lui dire des mots doux sous la pluie, et c’est à ce moment-là que la musique vient couvrir ce qui se dit et que, en l’espace d’une coupe, on retrouve nos deux personnages, mariés. La scène supposée expliquer l’inexplicable, justifier l’injustifiable, est tout simplement éclipsée grâce au montage clipesque. C’est à se demander si le motif de l’éclipse, qui a une place importante dans l’histoire, n’est pas une sorte d’aveu de la part du réalisateur. De la même façon, on apprend à un moment donné qu’en prison, Clotaire a écrit une lettre d’amour qu’il compte bien lire à Jackie en fin de film. Non seulement c’est un énorme cliché, mais c’est un cliché que Lellouche n’assume pas, parce que nécessitant au scénariste d'avoir écrit la lettre pour de vrai, et lorsque vient le moment de lire cette fameuse lettre, la musique intervient à nouveau pour couvrir les parole et amener une douce transition sur la scène suivante. Cet élément, pourtant amorcé dès la sortie de prison de Clotaire une heure plus tôt, fait donc l’effet d’un pétard mouillé et promet une scène, très convenue certes, mais qui n’a même pas lieu à l’écran.


Il est dès lors difficile d’adhérer à l’idée selon laquelle Gilles Lellouche nous aurait, en fait, offert un conte naïf et généreux, touchant droit au cœur par sa simplicité. Car en ne montrant que ce qui est absolument attendu et de manière tout aussi attendue, il nous prive de tout, de scènes, de cinéma, et surtout, de sincérité. Quelle sincérité peut-il y avoir dans un film qui ne fait que reconduire des clichés et appliquer une formule, une recette ? D’ailleurs il vaut mieux pour Lellouche que ce ne soit pas sincère. Ce serait inquiétant qu’un tel film soit honnête. Et le fait qu’il s’agisse d’un conte ne peut rien justifier. Pourquoi un conte ? Filmer des gens qui n’existent pas dans un monde qui n’existe pas, ça n’a rien à voir avec le fait de faire un conte, c’est un mot fourre-tout pour masquer soit un regard infantile sur les situations qui sont montrées, soit un regard qui, précisément, passe son temps à esquiver lesdites situations. Lellouche montre les années 90, mais juste une image de carte postale ; il montre un père qui se fait virer de son usine, mais n'explique pas pourquoi dix ans plus tard, la famille vit dans un confort tout à fait identique à celui d'avant ; il montre un père violant avec son fils, mais finalement non, il est sympa avec son fils ; il montre les prolos mais n'en montre en fait strictement rien.

Tout ce qu'il montre, il fait en sorte de ne pas avoir à le montrer.

BillCarson1966
1
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Créée

le 1 mars 2025

Critique lue 13 fois

Bill Carson

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