En matière de mélodrame, on n'en attend pas moins de la part de Borzage. L'ange de la rue, c'est l'euphémisme qui désigne Janet Gaynor, prostituée en titre qui se trouve contrainte dès l'introduction, au choix, de vendre son corps ou de se résoudre au vol, pour trouver l'argent qui lui permettra d'acheter les médicaments afin de soigner sa mère mourante. Dans une séquence peut-être un peu trop expéditive et injustifiée, elle tente simultanément les deux options qui s'offrent à elle et sera saisie sur le champ par la police napolitaine qui la surprend la main dans le sac. C'est le point de départ d'un nœud tragique du récit, alimenté juste ce qu'il faut pour le maintenir brûlant comme des braises sur lesquelles on souffle, et qui sera remis sur le devant de la scène plus tard dans le film, une fois le moment opportun venu.
D'emblée, les (gros) moyens se font sentir dans la reconstitution de la ville italienne du début du 19ème siècle, crasseuse, pouilleuse et brumeuse. Mouvements de caméra à la grue imposants, et même des plans-séquence assez notables pour l'époque qui nous entraînent au milieu de la foule lorsque Charles Farrell recherche désespérément sa promise, au milieu d'ombres qui s'agitent en tous sens. Borzage du côté de Murnau, c'est assez inattendu : des espaces découpés par leurs formes géométriques saillantes, l'expressionnisme qui affleure sans discontinuer avec la brume éclairée tout en clair-obscur, et avec en prime comme un sens avant-gardiste de l'horreur à venir dans les années 30, à l'image de son contemporain La Chute de la maison Usher (signé Epstein) sorti la même année, en 1928. Quelques éléments sonores sont très remarqués, aussi, témoins d'un cinéma non-muet à ses balbutiements : les personnages sifflent et se répondent, avec insistance, le bruit angoissant du heurtoir qu'une main frappe contre la porte, et un son de cloche signe le début et la fin d'une permission d’une heure que la protagoniste obtient du policier venu la reconduire en prison.
Dans le dernier temps du récit, lorsque les amants fous amoureux se retrouvent par hasard après avoir été brutalement séparés — cette séparation étant le point névralgique du mélodrame et le cœur du film autour duquel il gravite presque tout entier —, Borzage s'engage avec vigueur et obstination sur la voie de la rédemption, sur l'autel de la religion, avec en point de mire l'amour comme seul véritable moyen d'absoudre ses péchés (ou presque). Difficile de ne pas voir la scène finale de réconciliation comme un miracle qui émerge de la grisaille brumeuse plongée dans les ténèbres — un moment expressionniste très fort, encore une fois proche de l'horreur pure lorsque Farrell se fait menaçant, à mettre dans la continuité de la scène extrêmement expéditive du tribunal qui montrait une toute petite Gaynor écrasée par les juges. Comme un écho lointain des effusions à forte teneur mélodramatique qui ont rythmé tout le film.
“Everywhere… in every town, in every street… we pass, unknowing, human souls made great by love and adversity.”
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