Le voilà enfin, le fils prodigue est arrivé, l'immense Toshirô Mifune rejoint le gigantesque Akira Kurosawa pour la toute première fois. Et quand deux monstres sacrés dégoulinants de talent collaborent ensemble, il peut se produire une alchimie qui explique pourquoi on qualifie le cinéma de 7ème art.
Réalisé en 1948, on nous raconte l'histoire d'un médecin de quartier à Tokyo qui reçoit un soir la visite d'un Yakuza touché par balle. Notre docteur plein de sang froid n'hésitera pas à lui faire la morale en l'examinant de plus près. Pour répondre à l'attitude je-m’en-foutiste du mafieux en herbe, il alimentera sa peur en rajoutant que si les premiers signes de tuberculose sont présents, c'est déjà trop tard...
L'Ange Ivre c'est une petite démonstration de talent qui explose de tous les côtés. Celle d'acteurs bien sûr, Toshirô Mifune dans l'un de ses premiers rôles inonde de charisme la caméra du maître et nous offre un personnage terriblement attachant. Un Yakuza qui sous sa carapace de brute se fissure petit à petit, pour laisser apparaitre un homme fragile, d'une tristesse perceptible grâce aux nuances de son jeu. Pour donner le change, Takashi Shimura campe un médecin alcoolique au grand cœur qui préfère jouer les indifférents plutôt que de reconnaitre que le sort de ses patients l'importe.
Et c'est dans ce sens que les scènes entre nos protagonistes principaux sont si savoureuses. Qu'ils se hurlent dessus ou se battent peu importe, on arrive à percevoir le respect mutuel qui s'en dégage.
Kurosawa en s'attaquant au milieu de la pègre s'en sert plus de forme pour laisser parler le fond. Un portrait d'hommes fiers, comme le dit si bien le médecin, "c’est la volonté qui manque aux hommes" préférant montrer une force apparente en laissant de côté ce qui pourrait les rendre vulnérable. Accompagné d'une bande son magnifique, parfaitement utilisée et d'une réalisation de toute beauté, il ne s'agit ni plus ni moins que le premier petit bijoux du Maître.