L'Ange ivre est un film de Kurosawa appartenant à la période après guerre durant laquelle il prend plus de liberté par rapport à la censure. L’ange ivre, un titre accrocheur qui rassemble deux termes apparemment antinomiques. L’ange c’est ce médecin non conformiste au grand cœur qui se soucie de ses patients, un homme profondément humain, mais aussi marqué par la limite. Il est colérique, soupe au lait, peu diplomate et porté fortement sur la boisson. Cet ange va croiser sur sa route un yakuza, un jeune homme plein de classe, de prestance, d’autorité, de vitalité mais qui se découvre subitement atteint par la maladie. Entre les deux se noue une relation complexe faite de soin, d’attention et de conflit. Le médecin se reconnaît dans ce jeune et ses excès, il le comprend de l’intérieur : « il joue les caïds, mais je sais qu’il a le cœur triste ». Pour un yakuza, se reconnaître malade et donc faible requiert un autre type de courage que celui qui consiste à faire rouler les mécaniques et à s’imposer aux autres.
Pour camper ces deux personnages, deux grands acteurs japonais : Takashi Shimura dans le rôle du médecin et surtout Toshirō Mifune qui joue pour la première fois dans un film dirigé par Kurosawa. Un Mifune qui crève littéralement l’écran faisant passer par son jeu d’acteur sa colère, sa violence, sa peur, sa détresse, sa fuite dans le tourbillon des soirées arrosées ou dans les jeux d’argent, son isolement intérieur et son affaiblissement physique.
Kurosawa crée toute une atmosphère de tension et d’insouciance à travers les diverses scènes qui se succèdent et grâce à la musique parfaitement bien intégrée à l’histoire : depuis les chansons dans le cadre du bar ou jusqu'au morceau de guitare dont le thème fait frémir : « la chanson du tueur ».
Le film s’ouvre sur l’image d’une mare croupissante aux centre des bas-fonds de Tokyo. Image qui revient comme un refrain pendant le film, image de la pègre, image de la mort. C’est encore sur cette mare que s’achève le film. Par contraste, une séquence onirique est saisissante, elle catalyse la soif de vivre du yakuza et sa lutte avec la mort. Il se voit au bord d’un océan, courant dans l’eau et luttant contre un cercueil, tandis que les vagues se déchaînent. L’océan est l’image de la force vitale en opposition aux eaux croupissantes du marais. Ce qui se vit en lui c’est un combat entre la vie (l’océan en mouvement) et la mort (le cercueil qui flotte sur les eaux). Un combat qui est au centre de cette intrigue : combat psychique et physique qui s’inscrit dans le milieu délétère de la pègre. Un combat qu’on espère jusqu’au bout le voir gagner.
Avec L’Ange ivre, Kurosawa a gagné en notoriété tandis que Mifune était révélé au public dans ce rôle qu’il investit à fond. Les deux hommes ont tourné en tout 16 films ensemble.