Il est à prendre en compte l'envergure cinématographique de l'artiste Resnais au sein du spectre artistique établit par le Septième Art et de son influence sur les nouvelles formes de narration brisant au passage la conception même de linéarité. Il faut dès lors se mettre au diapason de la fonction de l'image et de celle de la musique, se constituer spectateur actif, changer son regard pour faire de L'année dernière à Marienbad un espace mental réservé à tous ceux désirant se glisser dans le labyrinthe du temps, de l'espace, de la mémoire et du verbe. Les élus seront peu, les accessits d'honneur encore moins et le spectateur courant quasi démissionnaire. Car s'il existe bien, à l'aube de la nouvelle vague, des codes flambants neufs de cinéma. Ils ne seront pas accessibles à tous mais en priorité à ceux qui anatomiquement seront curieux de déconstruire le corps d'un film et de faire en sorte que l'on puisse mettre le cerveau à la place du coeur en évacuant le prémachage des règles techniques en vigueur. La fibre expérimentale est appelée à la barre à la seule condition qu'elle serve l'œuvre au travers de sa note d'intention. Les couches temporelles se superposent ou alors se succèdent (?) au rythme d'un souvenir passionné ou fantasmé (?). Inutile de cerner un détail vestimentaire susceptible de figer un repère dans le temps. La couleur de la robe de Delphine Seyrig noire au présent, blanche au passé s'inverse dans les plans futurs. C'est en pure perte que l'on tente géographiquement d'accrocher notre regard à un élément de la production. Un laïus de X autour d'une statue donne pourtant corps à sa pensée. Il s'agit du détail par la représentation mythologique. Godard usera de cette noblesse de la pierre taillée au travers de l'Odyssée d'Homère dans Le Mépris. Néanmoins, une seule donnée intangible contribue à nourrir notre espoir d'une éventuelle réponse : le temps. On ne cesse de hurler au spectateur que cette notion existe : "L'année dernière" du titre "gèle" verbalement la couche temporelle passée et le souvenir de X est un pur produit synthétique du cerveau gardant en mémoire l'image (toujours passée) aujourd'hui concrètement filmée par Resnais mais évanescente par déduction puis remodelée à l'infini. Pourtant le personnage de Seyrig réfute ces dires. Elle ne se souvient pas. Dans cette réalité matérielle qui est celle de A et X, l'un est prisonnier du souvenir, l'autre est libre comme le vent. X revêt-il le costume de l'amant ou du prétendant en pleine affabulation ? Première Lecture.
Dans une réalité immatérielle nimbée d'une onde musicale, l'orgue signe une oraison funèbre: "L'odeur de la mort se détecte à l'oreille". Seconde lecture. On se focalisera plus volontiers sur une modélisation par l'esprit - un décor de château aux mille couloirs alloué au spectateur - où se déroule les images avec cette interrogation omniprésente en tête : " L'abstraction de Marienbad" relève-t-elle d'un extrait de mémoire perdue dans un espace vide soit d'un fantasme religieux mettant en scène l'anti-chambre de la mort réceptacle à ce qu'il reste de produit intellectuel de X réfugié au cœur du néant flottant loin des chairs en décomposition ? Un état de conscience conservé dans une bouteille jetée à la mer naviguant pathétiquement vers le spectateur. À moins que les sciences et les matières ne se prêtent au jeu (de Nim ?). La quête du pourquoi de cet emprisonnement passerait par les probabilités de vaincre par le jeu. Si X parvient à surpasser son adversaire "M", son destin sera-t-il toujours lié à cette prison bourgeoise ? À ce moment, le périmètre se soumettrait aux lois mathématiques et nos croyances judéo-chrétiennes balayées par les théorèmes divers où lorsque les sciences prennent le pas sur la religion.
De cette froideur toute géométrique où l'on se prend à fantasmer un monde dicté par le pragmatisme, l'ombre de La Jetée de Chris Marker fait son apparition. Le diaporama fait de sauts dans le temps et d'un amour impossible tend la main à Marienbad. Marker et Resnais ont d'ailleurs joints leurs forces pour Les Statues meurent aussi, un court-métrage sur la mémoire et l'oubli. Mais la vulgarisation suprême du second film du réalisateur d'Hiroshima mon Amour viendra avec Je t'aime, je t'aime. Ce que ce dernier perd en grâce et en réflexion, il le gagne en accessibilité intellectuelle. Il n'en demeure pas moins que le spectateur restera perdu au cœur de l'image et du temps.