La comédie satirique manque par essence de subtilité : c’est bien là son intérêt et sa limite. Qu’elle soit mordante et absurde comme « Le Sens de la Vie » des Monty Python, violente et ambiguë, comme le récent « Elle » de Paul Verhoeven, elle manque rarement de vigueur et d’énergie. Lorsque c’est le cas, elle peine d’ailleurs à convaincre, en témoigne la mollesse auto-satisfaite de « La Loi de la Jungle ». La satire s’enferme en effet toujours dans des motifs répétitifs, et tout son talent sera de redoubler d’inventivité pour rendre ces motifs consistants. Celui de « L’argent de la vieille » de Luigi Comencini est simple : un couple d’italiens pauvres joue aux cartes depuis des années avec une vieille milliardaire, manquant à chaque fois de s’emparer d’un peu de sa fortune. Jusqu’au jour où…
Comme toute comédie italienne qui se respecte, l’écriture est vive, grotesque, bavarde et démesurée. Cependant cet équilibre précaire tient bon de bout en bout, l’agacement ne prend jamais le pas sur l’amusement enjoué. Car il s’agit bien d’un jeu, du moins en apparence. Un jeu perçu différemment par les deux classes sociales en présence. Pour cette famille endettée, il s’agit d’un pur fantasme addictif, celui de pouvoir vivre décemment sans faire travailler leurs enfants. Pour la vieille, cela tient de la pathologie : elle jouit de ses victoires systématiques ainsi que de la « bonté » dont elle ferait preuve en acceptant des pauvres dans sa maison, sans jamais les dépouiller du peu qu’ils misent. Les couches d’apparats s’érodent constamment, à l’origine d’une bonne partie des procédés comiques du film : l’hypocrisie des uns et des autres est déroulée avec force de malice et de situations inattendues.
La satire, classique dans son déroulement et ses moments de suspens quelque peu artificiels, ne prend toute sa signification que par la réalité sociale tangible qu’elle distille. Dès l’introduction où un reporter énumère les richesses de la vieille, on passe sans transition à un quartier populaire s’apparentant à un bidonville. Derrière les gesticulations et rictus typiques d’Alberto Sordi campant un père de famille gentiment imbécile, il y a en effet la description de toute une condition sociale, comme si le néoréalisme italien s’infiltrait quelque peu en filigrane de la comédie. Le plaisir qu’on éprouve au visionnage reste tout de même celui, simple, de voir ces caricatures si grossières et attachantes gesticuler plus que de raison, dans une frénésie qui traduit toute l’absurdité de la narration.
Cette relation d’interdépendance malsaine s’avère inévitablement autodestructrice : en résulte une fin d’où personne ne sort gagnant, à la morale plutôt radicale. « L’Argent de la vieille » se veut pessimiste quant à une coexistence pacifique entre riches et pauvres, mais n’en appelle pas pour autant à un traditionnel égalitarisme comme remède. Derrière le sempiternel « l’argent ne fait pas le bonheur » en guise de dicton final, le réalisateur brandit une fourche féroce pour la classe dominante : au pilon, les aristos !