Dans The Evil Dead, on suivait les aventures de Ash, au pays des démons morts-vivants sous le signe de l'horreur et de l'angoisse, principalement par la seule volonté du producteur Robert Tapert, on sentait tout de même le burlesque se glisser subrepticement entre deux douloureux moments de terreur.
Dès Evil Dead 2 : Dead by Dawn, les ambitions humoristiques furent révélées. Sans pour autant oublier son appartenance au gore et à la grande et détraquée famille des films qui font peur, le film se partageait avec une inventivité et un talent fous entre rires et frissons.
À l'été 1990 sort Darkman et remporta un succès mondial, installant Sam Raimi comme un réalisateur commercialement estimable par les différents studios. Les projets affluèrent mais Raimi, qu’on disait lié par contrat à Dino De Laurentiis, se lança avec ses complices dans le projet de The Medieval Dead, le troisième épisode de sa saga horrifique / comique.
Sam Raimi devrait mettre la pédale douce sur les débordements sanglants et la violence, car le studio visait une distribution plus large que celle des deux précédents films de la saga qui, s'ils connurent un succès intense en vidéo, ne furent pas pour autant des standards du box-office international. Sam et son frère Ivan saisirent l’occasion de reprendre en main le scénario qu’ils avaient écrit pour Evil Dead 2 : Dead by Dawn jusqu’à ce que Dino De Laurentiis ne contraigne le metteur en scène à revoir ses ambitions à la baisse. Les deux frères se virent également contraints de freiner les effusions sanglantes qui avaient fait le succès des deux précédents opus. Ils décidèrent donc d’orienter leur film vers la comédie pure.
Bruce Campbell redevient le jouet consentant de son ami réalisateur qui fait du personnage de Ash un crash-test expérimental, accentuant clairement le côté Tex Avery. Il pense même à faire perdre un œil à Ash, mais l'idée est abandonnée à cause des séquences à cheval et de combats jugées trop dangereuses. Bruce Campbell se voit pousser un double sur la nuque baptisé Evil Ash, qui lui aussi ne serait pas en restes de sévices corporelles. Brûlé, démembré mais toujours vaillant, le méchant Ash permet au comédien d'interpréter deux rôles dans un film où la dualité est une notion récurrente puisque l’humour se dispute à l’épouvante.
Le tournage ne fut une partie de plaisir pour personne. Les courts temps d’obscurité dans le désert californien rendent les tournages de nuit difficiles, les soucis avec de nombreux effets mécaniques et le sens du détail de Sam Raimi rarement satisfait. Une fois le premier montage terminé et divulgué aux studios, Raimi doit retourner quelques scènes (dont la fin) dans des délais très courts et avec une rallonge en poche.
Soucieux de ne pas choquer les spectateurs non habitués à l'horreur tout en contentant les fans de la saga, Sam Raimi jongle en permanence entre des séquences où l'on suggère le frisson et un humour particulièrement débridé. Convaincu qu'il ne proposerait pas à son public des séquences où tripes, boyaux et autres joyeusetés viendraient éclabousser les écrans, Raimi s'en donne à cœur-joie dans le divertissement bon enfant.
The Medieval Dead rebaptisé Army of Darkness sort en 1992.
Il paraît clair que le studio ne sait pas comment vendre le film. Les affiches, la campagne marketing, rien n’indique au spectateur qu'il s'agit du troisième épisode de la série Evil Dead. L’aversion latente des studios de l’époque pour le genre horrifique peut expliquer ce blocage. Depuis, les mentalités ont changé et les grosses compagnies se sont mises à produire des films gore sans trop de complexe, reléguant l'horreur pure et dure à des sociétés de production plus petites. Mais en 1992, alors que le genre n'a plus le vent en poupe, vendre le film comme la suite de deux film horrifique semble inapproprié.
L'absence évidente d'une vraie violence achève la décision d'une distribution différente de celle de des deux précédents opus. Sam Raimi conserve dans son montage une fin plutôt nihiliste dans laquelle Ash se réveille plus tard que prévu dans une Angleterre futuriste et post-apocalyptique. Cette fin n'est pas acceptée par le studio. Un autre fin a du être tournée, qui se prête au jeu de la suite potentielle.
La critique internationale est emballée, bien que les fanatiques des deux premiers films déplorent encore l’absence de violence graphique. On loue son inventivité, son audace, sa technique et l’interprétation de Bruce Campbell qui accède définitivement au statut d’acteur culte, bien que le public des amateurs de cinéma de genre l’adore déjà depuis Evil Dead 2 : Dead by Dawn. Le comédien mérite amplement cette petite reconnaissance tant il se donne à fond dans son rôle.
Army of Darkness rend un vibrant hommage au cinéma de Ray Harryhausen, aux films d’aventures fantastiques et à l’animation image par image avec ses squelettes de l’armée des cadavéreux. On peut voir également un respectueux clin d’œil aux films de capes et d’épées dans lesquelles le héros sauve la demoiselle en détresse.
La saga Evil Dead reste un film de copain, un de ses frères au scénario et l’autre (Ted Raimi) en cameo. Son frère Ted avait déjà participé sur les tournages de Within the Woods, The Evil Dead et Evil Dead 2 : Dead by Dawn. Il est la depuis le début.
On peut aussi noter le cameo du réalisateur William Lustig (copain de Sam Raimi, qui avait déjà fait un cameo dans Darkman) qui a réalisé Maniac et la trilogie Maniac Cop avec Bruce Campbell dans le casting.
Même s’il n’obtint pas de gros scores dans les cinémas (compte tenu d’une distribution chaotique), Army of Darkness fonctionne suffisamment en vidéo pour que les studios Universal renouvellent leur confiance au réalisateur Sam Raimi et au producteur Robert Tapert. Une confiance qui leur porte chance puisque les deux hommes vont produire les deux séries Hercules : The Legendary Journeys et Xena : Warrior Princess. Séries dans lesquelles Bruce Campbell obtient un rôle plus ou moins régulier et qui permet à Robert Tapert de trouver l’amour en la personne de la Lucy Lawless, l’actrice interprète de Xena.
Army of Darkness offre à Bruce Campbell l’occasion de s’imposer en personnalité inévitable du cinéma de genre et assied Sam Raimi sur l’autel des génies de la mise en scène. Le réalisateur y perfectionne son art et affiche sans complexes son style. Une patte visuelle reconnaissable, une personnalisation époustouflante de plans. C’est aussi un film unique qui transcende son statut officieux de suite de classiques horrifiques pour proposer autre chose. Une leçon de détournement de genres.