Un bon film de Christian-Jaque réalisé en 1941 sous la houlette de la Continental.
Fort de ses succès populaires antérieurs, Christian-Jaque était bien le cinéaste idéal (pour l'occupant), capable de sortir des comédies tous publics.
S'inspirant d'un roman policier paru avant-guerre (que je ne connais pas), Christian-Jaque construit un film qui se déroule à Noël, dans un village de Savoie bloqué par la neige, où les enfants attendent avec fièvre le Père Noël.
Dans un premier temps, le scénario décrit l'ambiance de ce petit village avec ses habitants pittoresques comme Cornusse (Harry Baur) qui construit des globes terrestres et raconte des histoires merveilleuses aux enfants fascinés par les pays lointains ou l'inquiétante mère Michel qui est toujours à la recherche de son chat ou encore le mystérieux baron revenu récemment de voyages lointains et, semble-t-il, malade, désireux de fuir les importuns.
Dans un deuxième temps, l'histoire se durcit par une succession d'évènements criminels (un crime, le vol du trésor de l'église, une agression) qui seront gentiment élucidés à la fin par un gendarme qui arrive à point nommé (Bernard Blier) .
Donc, Christian-Jaque remplit parfaitement son cahier des charges avec sa comédie policière banale baignée dans une atmosphère féérique et bon enfant dont personne ne pourrait supposer la moindre allusion politique ou encore pire de propagande.
La musique sert l'aspect féerique du film avec plusieurs variations de chansons enfantines ou de quelques morceaux du répertoire classique. Certains personnages contribuent à cet aspect fantastique comme Catherine, la fille de Cornusse, qui passe son temps à habiller des poupées en rêvant au Prince charmant. L'instituteur, personnage exalté, tente bien de séduire cette Catherine mais comme elle dira plus loin, il ne fait pas vraiment rêver "car il est plein de pellicules et a du poil dans les oreilles".
Maintenant venons-en, justement, au plus intéressant de ce film qui est le personnage "central" de Catherine …
D'abord, elle est la fille de Cornusse, celui qui, tous les ans, endosse le rôle du père Noël, porteur des rêves des enfants même s'il parle parfois de martinet. Celui-ci est truculent et ne dédaigne pas à l'occasion, une petite lichette (et même plusieurs) : bref un vrai français … (face à tous les couards du village à commencer par le maire (Fernand Ledoux) qui a peur de son ombre).
Lorsque l'instituteur (Robert Le Vigan) fait sa cour à Catherine (Renée Faure), elle lui demande innocemment "pourquoi il ne porte pas une épée pour combattre les ennemis du royaume, contre les bêtes féroces" … On se rend compte que les deux sont sur deux plans strictement parallèles et incompatibles ; l'un, gagne-petit, parle de robes, de confort domestique, de chauffage central, l'autre, idéaliste, parle de la défendre contre tous les Barbe-Bleue, tous les méchants qui veulent du mal aux héros des contes d'enfants …
Tout le monde fuit le baron (Raymond Rouleau) soit parce qu'il est malade (pestiféré, lépreux ou même rien du tout), soit parce qu'il ne parle pas. Seule Catherine trouve que "ce n'est pas bien d'abandonner quelqu'un qui est malheureux" …
Et c'est la rencontre, presqu'onirique, entre Catherine et le Baron : un instant de grâce où Catherine s'éveille et le Baron s'adoucit. L'appétit revient chez Catherine même si c'est du pain rassis et de l'eau fraîche. Le cinéaste nous soigne les portraits du baron mais surtout de Catherine sous une musique douce et romantique. Comment ne pas voir ou deviner une intention (cachée) de Christian Jaque, dans ce portrait de Catherine, porteuse de l'espoir insensé (en 1941) du réveil de la France endormie grâce à un chevalier blanc dont tout le monde se méfie, seul capable de lever les sortilèges …
Très beau film que j'ai découvert par hasard il n'y a pas si longtemps.
Et à chaque visionnage, je découvre quelque chose que je n'avais pas vu précédemment. Il me reste, en particulier, à approfondir l'énigmatique personnage de la mère Michel (jouée par une sombre Marie-Hélène Dasté) qui n'a pas dit son dernier mot …