Mia Hansen-Love est une jeune réalisatrice qui, jusqu’à présent, a puisé dans sa propre mémoire intime pour en extraire des scénarios autour desquels elle va composer, jusqu’à former quelque chose dont l’apparence finale sera un film. En apparence, tout ce qu’elle met en avant possède des airs de déjà-vus incessants: Isabelle Huppert, qui incarne Nathalie, une professeure de philosophie dans un lycée parisien huppé, voit sa vie se déliter petit à petit, suite au départ de son mari, de ses enfants, de sa mère, et de sa collection de livres prestigieuse. Elle se retrouve avec sur les bras une sorte de liberté étrange, nouvelle, dont elle ne se plaint pas, mais dont elle ne sait surtout pas quoi faire. L’Avenir est un titre au goût aigre doux, sans tendresse, traitant d’une histoire où l’instabilité du présent envoie valser tout souvenir passé, et rend le futur plus flou que jamais. Mia Hansen Love a affirmé avoir été marquée au fer rouge par le divorce de ses propres parents, qui eux-mêmes enseignaient la philosophie. Elle aurait pu facilement sombrer dans le propos désordonné, pédant, avec des références philosophiques abondantes qui auraient fait de l’Avenir un ensemble anecdotique au propos creux. Elle aurait aussi pu profiter de l’espace d’expression qui lui est alloué pour effectuer une psychanalyse toute personnelle, confinant au nombrilisme. En somme, rien ne la prédestinait à éviter d’un bond de cabri les travers omnipotents qui touchent à la fois le cinéma, et toute une partie de la littérature française, avec un tour de main qui forcerait presque l’excuse envers tout un genre : c’est presque comme si on aurait aimé la juger avec sévérité, quand au contraire, l’a priori qui se confirme habituellement fait qu’ici le résultat est d’une justesse qui génère la surprise.
L’Avenir est un film méritant, car il est entièrement anti-hystérique, sans être dans l’apathie. Mia Hansen-Love a fait de Nathalie une femme épanouie, dont les lectures l’aident à affronter la vie qui vient au devant d’elle. Il n’est pas question d’un refuge permanent dans la lecture de Schopenhauer ou de Jankélévitch, mais de comprendre comment des armes peuvent être constituées à partir de ce qui est glané ici et là. Ainsi, quand Nathalie voit son mari la quitter pour une autre femme, plus jeune, elle tombe simplement des nues. Pas de cris, pas de larmes, mais une déception, sans amertume ni fataliste, qui s’accompagne surtout de l’acceptation du vide qui va désormais s’installer dans sa vie. C’est tout ce qu’elle peut faire, et elle le sait pertinemment, comme elle sait également que même si sa mère simule ses multiples crises d’angoisse, elle sera toujours là pour tenter de l’apaiser tant bien que mal. Et c’est dans cette façon d’être au coeur du drame quotidien que Isabelle Huppert excelle, parce qu’elle confine à ce drame une dimension risible. Quand, en appelant la maison de retraite dans laquelle sa mère séjourne Nathalie apprend avec effroi qu’elle n’a rien avalé depuis trois jours, elle se trouve au fin fond de la Bretagne, dans sa maison de vacances, avec celui qui n’est plus son mari mais ne trouve pas le courage de partir, tentant de capter au téléphone en avançant d’un pas mal assuré dans le sable gluant. Sa mère se laisse mourir, désespérée par une vie qui ne lui apporte plus de joie. Mais Mia Hansen Love décide d’en faire quelque chose de cocasse, sans indécence, en montrant plutôt avec affection comment Nathalie se dépatouille d’une situation qui la met dans l’embarras : lorsqu’elle retrouve sa mère, c’est avec des chocolats, et un demi-sourire face à ce qui semble être une sorte d’inversion des rôles parent enfant.
En vérité, Nathalie ne se bat pas dans une zone de confort qu’elle aurait elle-même délimité, mais dans ce qu’elle juge être légitime. A ce titre, les premières scènes où l’on voit des lycéens faire grève devant leur établissement sont à la fois caricaturales et saisissantes: les comédiens jouent mal, mais par là-même, ils rendent d’autant plus compte d’une réalité où beaucoup, lorsque nous étions jeunes, nous adoptions parfois les mêmes postures pour des questions de vie ou de mort selon nos propres prismes. Leur jeu en devient ainsi une sorte de représentation du ridicule, face auquel Nathalie, que l’on cherche à empêcher de passer, car si elle n’est pas avec, elle est contre leur grand dessein, affirme simplement et fermement que sa seule mission est de faire cours. Toute prétention se voit balayée : il n’est pas question de feindre l’adhésion pour plaire à ses élèves, mais de se placer là où sa voix peut insuffler quelque chose de pertinent. A vrai dire, les seuls moments où Nathalie s’érige en rempart contre une médiocrité qu’elle ne tolère pas surgissent lorsque des marketeux lui imposent une refonte graphique complète pour sa collection d’ouvrages philosophiques. Des couvertures pastels aux titres écrits en italique sont remplacées par des cercles remplis de couleurs criardes, pour attirer l’oeil. « C’est laid ». Et c’est délicieusement anti-moderne. Mia Hansen Love prouve ici que, dans l’ensemble, on peut faire dans l’autobiographique en collant à la réalité, sans que celle-ci soit dénaturée dans l’exagération.