Les aventuriers du cash perdu

Alors qu'il était invité dans une éphémère émission à visée culturelle sur France 5, Alain Chabat chef de les Nuls était sommé par l'animateur - Bruno Solo, il me semble - de choisir 5 livres, 5 films, 5 disques dans les rayons de la FNAC qui accueillait ce curieux programme.

A ce moment là, mon Alain, est allé prendre directos le DVD de l'Aventure c'est l'aventure, et se paya même le luxe de déclarer dans la foulée "C'est pas loin d'être ma comédie préférée de tous les temps". Il avait le choix pourtant, il aurait pu faire le malin et choisir "The Party", il aurait pu jouer au mec cool en chopant "The Big Lebowski" ou "Sacré Graal", il aurait pu jouer au jeune et prendre "La Légende Ron Burgundy", bref il aurait pu prendre 1000 films pour se mettre en valeur.

Son surprenant choix a trahi son appartenance à une micro secte, celle des adorateurs de l'Aventure c'est l'aventure. Un clan qui compte en son sein les types d'Action discrète, Jean Dujardin, et quelques autres. Et je ne sais pas pour vous mais quand Chabat juge du talent comique d'une oeuvre c'est un peu comme quand Einstein parle de fission nucléaire. On a tendance à lui faire confiance.

Névropathes cycliques chefs de la paranoïa occidentale

Plusieurs reproches sont généralement adressés à l'Aventure...

Lelouch réalise ce projet complètement à l'arrache et au premier abord il ressemble plus à un film de vacances qu'à une grosse production comique. Le réalisateur d'Un homme et une femme est la tête de turc de beaucoup de cinéphiles en raison de ses nombreux films mégalos et suffisants.

Il confesse d'ailleurs volontiers avoir perdu pied après ce succès mondial qui a rendu culte tant la plage de Deauville que la musique de Francis Laï. Alors ok, ses films des années 90 au casting étudié pour la promo TV (Ophélie Winter, Lucchini etc...) sont à brûler, mais il serait bon de rappeler qu'il n'a pas fait que de la merde non plus, et que nous lui devons les très bons "La Bonne année", "Vivre pour vivre" et "Un homme qui me plaît".

Les autres failles du projet, sur le papiers, sont les suivantes :

• Aldo "la classe" future muse de Philippe Clair remplace Bernard Tapie au pied levé (on gagne au change je pense).


• Jacques Brel obsédé par l'idée de réaliser son propre film accepte de rejoindre le projet uniquement pour regarder comment un réalisateur bosse.


• Charles Gérard n'est pas un acteur caméléon, c'est surtout un bon copain de Lelouch (notons qu'il est toujours drôle à défaut d'être très juste dans les films).


• C'est un film profondément réactionnaire (est-ce vraiment un mauvais point dans le fond ?).

L'excellente revue Schnock a placé le film en couverture d'un de ses numéros, consignant de nombreuses répliques cultes balancées en rafales par cette improbable Dream Team de bras cassés.

Cette comédie débridée aux gangsters très cons est inusable. Le génial Melville filmait la grandeur et la dignité des gangsters comme on filmait les cowboys à Hollywood. De mauvais garçons cabossés dont la quête d'argent cache quelque chose de plus profond. On prend l'argent pour se ranger, se venger, vivre intensément ou mourir avec fracas.

Lelouch filme des gangsters qui aiment juste voler de l'argent. Même blindés de thunes ils s'attaquent à un casino "pour rigoler quoi" et en prenant le risque de remettre en cause la civilisation des loisirs.

S'ils pouvaient plonger dans une piscine de pièces d'or comme Picsou, ils le feraient sans honte. Il n'y a que l'argent qui les intéresse, pas de trace de politique dans leurs exactions - de Marx ils ont surtout retenu la notion de capital.

Le parachutage de ces truands dans le contexte politique engagé des 70's, au milieu de leaders animés de la même probité est une bonne idée. Etre plus cynique que les idéologues, c'est la clarté dans la confusion ... ou l'inverse comme le démontre Simon.

Lino ! Un coup sur la tronche !

Alors oui, c'est parfois bébête, oui Jacques est franchement homophobe, oui Lino est un solide représentant du patriarcat, oui Aldo est un anticommuniste primaire, oui Simon est un névropathe cyclique, oui Charlot est un individu violent qui est allé en classe jusqu'en 7ème.

Mais c'est drôle, ils font tout passer. Avec d'autres acteurs, le résultat serait peut-être raté, ou détestable. L'alchimie entre les cinq est absolument unique. Leur joie de participer à ce projet caractérisé par une improvisation constante est visible.

Le récit du tournage par Lelouch confirme ce qu'on voit à l'écran, une bande de potes qui rigolent sous le soleil d'Antigua. Impossible de savoir ce qui a été écrit à l'avance et ce qui a été improvisé. Un film de camaraderie à l'ancienne, coloré, subversif et potache. Rien de plus rien de moins. C'est déjà énorme, car on est pas prêt de revoir un truc comme ça à l'écran.

Vive la Suisse libre !