Film coup de poing du trop peu connu Costa-Gavras, L’Aveu est adapté du livre autobiographique éponyme d’Artur London, un responsable politique tchécoslovaque qui fut accusé et condamné (à tort) par le Parti communiste de son pays pour espionnage dans le cadre d’une purge.


Rapidement, L’Aveu dépasse le simple volet politique ou judiciaire et Costa-Gavras s’attache plutôt à montrer le degré d’emprise d’un pouvoir totalitaire sur les individus qu’il contrôle, aspirant notamment à rendre crédible et indubitable une vérité pourtant créée de toutes pièces. Prison, tortures psychologique et physique sont les principaux ressorts du régime communiste afin de soutirer à tout prix les fameux aveux synonymes de compromission. Au-delà du simple énoncé des faits, c’est la croyance en leur vérité absolue qui est attendue de la part des accusés, toujours selon cette optique que le Parti, ne pouvant se tromper, met en coulisses tout en œuvre afin de dédouaner ses membres de la terrible méprise à laquelle ils sont confrontés...


Or le pedigree de Gérard (c’est le nom de London dans le film, joué par Yves Montand) semble sur le papier inattaquable : franc-tireur aux côtés des républicains durant la guerre d’Espagne puis résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, il est auréolé de la gloire discrète d’avoir été triplement poursuivi durant celle-ci : pour ses actions de subversion, pour ses idées communistes, et enfin pour son « origine juive », laquelle sera opportunément rappelée à la fin de son procès. Une gloire qui ne le protège pas pourtant du rouleau compresseur de la police politique soviétique (la Tchécoslovaquie est un État satellite de l'URSS), qui met en place un savant dispositif de torture amené à le faire craquer : privations de sommeil, brimades, épuisement physique… Sans oublier de mettre la pression sur sa parentèle, et notamment sa femme (Simone Signoret), tiraillée entre son orgueil conjugal d’être liée à un homme au-dessus de tout soupçon et sa croyance bornée en l’infaillibilité du Parti communiste…


Costa-Gavras nous plonge de manière glaçante dans la machine totalitaire et ses rouages administratifs parfaitement huilés. Ceux-ci fonctionnent dans cette URSS stalinienne de manière à s’alimenter elle-même en individus coupables de l’échec (pensé comme temporaire) de la révolution prolétarienne, toujours selon cette façon effrayante qu’ont les dignitaires de ces régimes à renvoyer leur responsabilité sur un pouvoir plus haut, une hiérarchie qui ne discute pas, qui ordonne et à laquelle il faut obéir ; et sans jamais prendre pleinement conscience de l’atrocité de leurs actes (cf. Kohoutek, joué par le génial Gabriele Ferzetti).


Sur le plan formel le film est une réussite, et je me plais à croire qu’il fut une source d’inspiration pour Oliver Stone et son JFK, en particulier pour ce qui est du montage, avec ces irruptions spontanées d’images d’archives au sein de la diégèse que le réalisateur américain reprendra à son compte dans les années 1990. En outre la narration non-linéaire offre à Costa-Gavras un réel atout en termes de rythme, requérant de la part du spectateur une certaine intervention pour remettre plusieurs séquences à leur place (notamment durant la détention). Une confusion visuelle et narrative cherchant à imiter le manque de sommeil auquel fait face Gérard (qui perd aussi toute notion du temps).


Mais c’est surtout la performance d’Yves Montand qui est la plus marquante, sa candeur et sa sincérité dans les idées et dont la désillusion progressive n’attaque pas les fondements de sa conviction communiste (les journalistes s’en étonnent d’ailleurs). Un cas loin d’être improbable comme de nombreux intellectuels occidentaux en fourniront la preuve au moment de la déstalinisation. Le travail du cinéaste sur la métamorphose physique de Gérard (barbe, posture, cernes etc.) est frappant et participe d’autant plus à rendre sa captivité crédible, sans jamais tomber dans le tire-larmes.


Testament de toute une époque apprenant avec une relative stupeur la réalité du totalitarisme soviétique, L’Aveu est un grand film judiciaire et politique qui questionne les modalités d’un pouvoir se concevant comme absolu et aspirant à tout contrôler, tout altérer, jusqu’à la vérité elle-même. Excellent !

grantofficer

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