Voilà un grand classique du cinéma italien qui fut à l'époque présenté au festival de Cannes en 1960. Malgré les rejets épidermiques de spectateurs incrédules, le film s'est forgé une solide réputation au fil du temps. Aux huées lors de sa première projection, s'est opposée l'admiration des intellectuels et des critiques voyant en la présente oeuvre une véritable révolution cinématographique. À ce titre, le film s'est vu attribuer le Prix spécial du jury qui a entendu alors récompenser : "un nouveau langage cinématographique et la beauté de ces images".
¤ Alors pourquoi une telle aversion des spectateurs lors de sa première projection ?
° Tout d'abord, la forme est atypique, en rupture totale avec ce à quoi le public était habitué jusqu'à alors, avec le classicisme et le néoclassicisme. À l'époque, le public attendait une narration avec des émotions dans un style sobre, il voulait une intrigue limpide qui se résout à la fin. Il n'aura rien de tout ça dans "L'Avventurra" ! L'intrigue est basée sur une disparition soudaine et mystérieuse qui ne sera jamais élucidée. Le cinéaste crée une rupture nette, une sorti d'anti-hollywood, dans le sens où la réalité est considérée comme trop étrange et incompréhensible pour être résolue par un quelconque scénario. La démarche a de quoi dérouter, mais le style doit primer sur la narration, dans une optique de réflexion.
° Ensuite, ayant été présenté au festival de Cannes à un public aisé et favorisé, le sujet du film a du faire étonamment écho. Antonioni s'intéresse ici à la haute bourgeoisie, et y présente implicitement un monde d'hypocrisie et d'ennui mortel. Les personnages sont distingués, fortunés et oisifs. Ils ne travaillent pas et semblent errer tels des âmes en peine, en quête d'exhaltation par la biais du sentiment amoureux. Ils veulent se sentir vivre, se sentir aimer, se sentir exister, par le charnel, l'instantané et la volupté. Ils cherchent vérité et clarté. Nous suivons les pérégrinations amoureuses de ces riches dont l'argent n'a pas suffit à combler le vide abyssal de leur existence, leur manque de communication, ainsi que leur absence d'authenticité.
¤ Qu'est-ce qui a retenu mon attention et qui m'a le plus marqué ?
° Je ne peux oublier de mentionner que la réalisation est magistrale, notamment la photographie sublime en noir et blanc, la justesse du cadrage, du jeu d'acteur, de la musique discrète mais inquiétante ou encore de l'atmosphère silencieuse assourdissante. La première heure du film est clairement la plus exceptionnelle, se déroulant sur une île fascinante constituée d'un gros rocher sur laquelle la mer capricieuse s'acharne (évoquant drôlement Monaco par association d'idées). En tant que bourgeois désoeuvrés, le choc avec la nature semble encore plus dévastateur pour les personnages renvoyés à la fragilité de leur condition. La disparition soudaine d'une jeune et belle héritière dans le groupe d'amis précipite l'angoisse, le vide, le tourment existentiel dont l'argent ne les épargnera pas. C'est par l'Amour que se transpose le désespoir de la recherche du bonheur, malgré la fatalité de la vie, sa monotonie, ses deuils et mouvements perpétuels, malgré la culpabilité et le regret, l'absence de réponse, de vérité, et d'emprise sur son destin, et sur les autres qui hantent les êtres humains.
° Dernier fait marquant et pas des moindres, qui fait d'ailleurs l'objet du titre de ma critique, à savoir la prépondérance de la Femme dans cette oeuvre. Pour moi, la rupture réside également dans le fait de consacrer la Femme comme l'Héroine, (ou même les héroines), ce qui est finalement assez rare dans le cinéma quand on y réflechit. Un constat très lourd est porté sur la gent masculine qui est représentée comme séductrice, primaire, indélicate, dictée par ses désirs. Quelques femmes légères font irruption, mais le cinéaste se concentre plus particulièrement sur des femmes réfléchies, névrosées et désabusées que sont les héroines. En cela, Antonioni montre la femme dans son intimité, dans sa beauté, dans sa complexité, dans son charme. Les actrices sont d'ailleurs magnifiques, souvent sublimées par la réalisation. Elles sont ici victimes d'un séducteur beau parleur adepte du carpe diem. Mais on sent que cette(ces) relation(s) entre un séducteur et une femme rafinée, est empreint d'une tendresse malgré un fort décalage. Ici, c'est l'ennui mortel, le vide abyssal, et la solitude existentielle qui semble créer le désir chez les individus, et plus particulièrement les femmes, qui se laissent séduire par un dom juan malgré des réticences. Et si l'amour n'était donc qu'une errance métaphysique servant à comblir le vide laissé par la solitude de notre conscience, et par la superficialité de notre vie ordinaire ?
□ "L'Avventura" est un chef d'oeuvre vraiment difficile à appréhender, car il est assez long, ne met en scène que des états d'âme en peine, et à ce titre met la narration au second plan. Michelangelo Antonioni est un artiste virtuose italien, précurseur de la modernité cinématographique avec "L'Avventura", qui constitue l'un de ses premiers chef d'oeuvre, mais également l'un de ses derniers réalisés en noir et blanc avant un grandiose passage à la couleur dans la suite de son oeuvre.
Un film fascinant et révolutionnaire qui a marqué durablement l'histoire du cinéma !