L’intrigue se déroule dans un orphelinat, un lieu aux bâtiments gris, tristes et délabrés, perdus au milieu de nulle part. A travers les portes et les fenêtres perce la lumière et apparaissent les grands horizons, le vaste monde.
Dans ce lieu clos vivent quelques enfants et une poignée d’adultes pour s’occuper d’eux. Un lieu aux allures mystérieuses avec son obus fiché au milieu de la cour, qui n’a jamais explosé et que l’on dit être toujours vivant. Un lieu où a disparu un enfant de l’orphelinat le jour même où l’obus est tombé. Un lieu où des fœtus sont conservés dans des bocaux. Un lieu où les enfants disent qu’il y a un fantôme. Ce à quoi le professeur Casares rétorque : « je me dis parfois que les fantômes, c’est nous ».
« Qu’est-ce qu’un fantôme ? Un fait terrible condamné à se répéter encore et encore. Un instant de douleur peut-être. Quelque chose de mort qui semble encore en vie. Un sentiment suspendu dans le temps. Comme une photo floue. Comme un insecte piégé dans l’ambre ».
Qu’est-ce qu’un fantôme ? C’est sur cette question que s’ouvre le film. C’est à cette question que le film donne une réponse. Si El Espinazo del diablo parle de fantôme, il parle avant tout de la peur qui paralyse la vie des personnes, il parle des lourds secrets cachés et enfouis dont on ne parle pas, il parle des frustrations qui tuent la vie, il parle de l’amour qui n’ose et ne peut se dire, il parle du passé non résolu qui hante le présent, il parle de la brutalité, il parle du courage.
Carlos qui arrive dans cet orphelinat est celui qui va oser affronter le fantôme, le regarder en face, le comprendre et finalement l’aider. De même qu’il a auparavant affronté ses nouveaux camarades de vie qui s'en prenait à lui parce qu'il était le « nouveau ».
Jaime, le petit caïd de l’orphelinat qui fait trembler les petits et qui les tyrannise va évoluer petit à petit et se transformer radicalement une fois qu’il aura révélé son secret à Carlos. De tyran, il va devenir protecteur des « petits ». De la peur, il va passer au courage et à la combativité.
Le danger qui rôde dans cet orphelinat n’est peut-être pas le fantôme… Il ne nous inspire pas de peur mais plutôt un sentiment de compassion pour sa solitude et son apparence qui semble éternisée par la manière dont il est mort. Le véritable danger est ailleurs, il est fait de chair et d’os et c’est lui que les enfants vont devoir affronter. Cette histoire se situe durant la guerre civile espagnole (1936–1939) opposant Franco et les Républicains. Derrière ce groupe d’enfants, il faut voir l’image des résistants en position de faiblesse face à la violence adulte du personnage surnommé par la directrice de l’école, le « Prince sans royaume » image quant à lui du gouvernement de Carlos en position de force.
Le film se termine en ouvrant le champ sur les vastes espaces. Les enfants sont passés de la peur et la passivité au combat pour leur vie. Cabossés, boiteux, couverts de saleté, de sang et de blessures ils sont vivants et peuvent quitter les morts et les fantômes pour rejoindre les vivants. Tandis que sur le seuil se tient un fantôme éternisé dans son passé.
La lumière bleutée caractéristique des films de del Toro accompagne les vues en intérieur tandis qu’une lumière crue domine les vues extérieures et la couleur orangée donne une teinte mystérieuse à l’eau du souterrain et aux bocaux du professeur. Les décors accompagnent cette histoire et sa symbolique : de la chambre du professeur Casares aux voûtes souterraines.
El Espinazo del diablo n’est pas un film d’horreur et d’épouvante, mais bien plutôt un drame poétique et symbolique à la photographie soignée, à la musique triste et douce.
Avec El Espinazo del diablo le grand Guillermo del Toro est né !