L’Effet aquatique s’ouvre sur une rencontre à sens unique : un soir, dans un café, Samir, grutier rêveur et solitaire, observe une jeune femme rabrouer un individu indélicat, et tombe immédiatement sous son charme. De cet affect inaugural de spectateur va naître, chez cet homme habituellement en retrait, une résolution inflexible : la séduire. Pour s’approcher d’elle, maître-nageuse à la piscine du quartier, une stratégie s’impose : suivre des leçons de natation… et qu’importe si Samir sait parfaitement nager.
Pour son ultime film, la regrettée Sólveig Anspach trouve en sa figure masculine le vecteur privilégié d’un déploiement burlesque : un personnage qui passe son temps à se faire passer pour ce qu’il n’est pas, mais aussi et surtout un corps, élastique et dégingandé, jamais à sa place. De fait, la cinéaste témoigne d’une singularité rafraîchissante dans sa manière de ne pas s’embarrasser d’excédents narratifs. Du passé et de l’environnement intime de Samir et d’Agathe, nous ne saurons rien, ou presque : ce sont deux êtres sans attaches, des figures à peine esquissées, des corps et des caractères sommaires en lieu et place d’une psychologie. Ainsi, L’Effet aquatique n’est pas tant le récit d’une rencontre amoureuse qu’un portrait, plus désincarné, de l’état amoureux – cet élan intrépide, au fort potentiel comique, qui voit un individu lambda prêt à déplacer des montagnes.
Au sein du cadre codifié et ambigu de la piscine, inspiré de l’aveu même de l’auteur par le très beau Deep End (Jerzy Skolimowski, 1970), le film se construit sur un minimalisme tout à fait séduisant : un espace resserré, un enjeu simple et clair, un couple de protagonistes attachants, et une poignée de seconds rôles débridés (dont le météore Esteban en guichetier farfelu). L’humour n’est pas toujours très fin, mais le charme opère, tandis qu’infuse, par saillies, une étonnante poésie des corps – voir cette très belle séance de natation, véritable ballet sensuel où Samir et Agathe effectuent des flexions synchronisées dans le bassin. Avec le déplacement du récit en Islande, le film gagne en grands espaces ce qu’il perd en singularité autant qu’en cohérence. En accumulant les artifices d’écriture qui se traduisent par autant de concours de circonstances peu crédibles, en jouant pleinement la carte d’un rocambolesque de situations plutôt que d’un univers entier – cette accélération loufoque s’accompagnant étrangement de seconds rôles beaucoup plus normalisés –, L’Effet aquatique aboutit trop rapidement sur une impasse.
Le programme qu’il révèle à mi-parcours se révèle en effet peu avenant : puisque l’histoire d’amour ne parvient pas à se nouer d’elle-même, il revient à certains éléments du décor de forcer le destin. C’était déjà le cas auparavant via le running gag de la porte bloquée, mais avec un improbable incident de cafetière, qui scinde le film en deux et renverse la proposition de départ, le dispositif atteint son point limite. Ce faisant, la dynamique absurde que le récit ne cesse d’invoquer mais qui peine à faire univers, n’est pas sans donner le sentiment d’un film certes sympathique, mais purement accessoire. Entre emballement narratif factice, digressions pittoresques d’un ridicule achevé (la séance de voyance, le fils d’une autochtone reconverti dans le trafic de foie gras), et seconds rôles lisses et fonctionnels (sur ce point, on mesure combien le récent Elle de Verhoeven fait figure d’antidote dans le paysage cinématographique français), L’Effet aquatique s’essouffle dans une seconde moitié dépourvue d’inventivité, après nous avoir pourtant promis de bien belles choses.