L'Enfer de la corruption est un classique de Film Noir abondamment cité, entre autres sommités, par Martin Scorsese et Bertrand Tavernier de son vivant. L'œuvre d'Abraham Polonsky, à la base scénariste qui subira les foudres du maccarthysme, détonne au sein du genre à plusieurs niveaux.
Les dialogues mitraillette, au débit rappelant davantage les stricts films de gangster antérieurs, sont ouvertement stylisés et construits comme des symphonies musicales. Pour un médium où le "show don't tell" s'impose souvent comme une irrécusable profession de foi, Force of Evil donne rétrospectivement et plus que jamais envie de fêter son passage du muet au parlant. L'amour littéraire du mot qui claque, au mépris de tout réalisme, lui donne des airs de poème lyrique.
La charge politique, frontale et cynique, fait froid dans le dos de par son acuité et son absence totale de compromis. Les personnages sont tous des victimes plus ou moins consentantes du système vicié avec lequel ils sont contraints de composer. Polonsky associe sans ménagement gangstérisme et capitalisme, et réussit le tour de force de rendre compte du fonctionnement global d'une société pourrie via le seul dessin de ses caractères hypocrites, malveillants ou simplement veules.
Ces deux dimensions pourraient asseoir son statut de chef-d'œuvre à elles seules, mais le cinéaste dote également son film d'une réelle aura tragique. Pour se faire, il axe son propos autour du récit biblique d'Abel et Caïn avec cette histoire de trahison entre deux frères. John Garfield et Thomas Gomez, éblouissants, donnent chair et âme aux grands dilemmes moraux exposés par le métrage.
Une amourette finement écrite avec le personnage incarné par Béatrice Pearson (qui évite tous les clichés de la fille innocente tentée par la corruption) finira d'alléger ce bien sombre tableau, ces deux îlots de sensibilité apportant un contrepoint bienvenu à la violence socio-politique presque écrasante de L'Enfer de la corruption.