ATTENTION CETTE ANALYSE CRITIQUE CONTIENT DES SPOILERS
SYNOPSIS
Le film raconte l’histoire de Masao, un enfant de Tokyo qui vit seul chez sa grand-mère. Celle-ci lui répète que son père est décédé dans un accident et que sa mère travaille loin pour subvenir à ses besoins. Au début de l’été, tous ses camarades partent en vacances.
Seul, il décide de partir à la recherche de sa mère. Il sera accompagné par un ancien yakuza, violent et immature, qui l’aidera dans sa quête. Quand ils retrouvent enfin la mère, après de multiples péripéties, ils se rendent compte qu’elle a fondé une autre famille, loin de Masao.
Pour réconforter l’enfant attristé, notre yakuza et d’autres personnages hauts en couleurs vont passer le reste de l’été à jouer avec lui. Les deux amis se quittent à la fin de l’été. Le yakuza lui donne alors son nom : Kikujiro.
ROMPRE SES PROPRES HABITUDES
L’été de Kikujiro est le 8ème film de Takeshi Kitano, sorti en 1999, deux ans après Hana-Bi, recompensé à la Mostra de Venise. Conscient qu'il montre une image de cinéaste "violent", Kitano décide d’opter pour une comédie dramatique optimiste. D’après ses propres dires :
" Pour une fois, il me semble que ce film penche plutôt du côté de la vie que de la mort. L'enfant symbolise l'espoir (…). Avec ce film, je crois avoir voulu rendre hommage à l'idée que je me fais de l'humanité "
Kitano change ses habitudes. Tout d’abord, à notre plus grand plaisir, son personnage est bien plus bavard que ses précédents rôles.
Aussi, bien qu’on retrouve sa patte à l’image (plans fixes « peintures », plans-séquences, une violence brutale hors champ ou plein plan, des gags visuels etc.), il veut changer de point de vue. Kitano dira à propos de son directeur de la photographie habituel, Katsumi Yanagijima :
" Je lui ai dit de prendre des risques. De filmer des plans comme on n'en avait jamais vu. Histoire de s'amuser. Il est allé très loin. À quoi bon demander à un cameraman de refaire ce qu'il a déjà fait ? "
On peut penser aux nombreuses scènes au ralenti qui, à ma connaissance, sont assez rares dans sa filmographie, ou aux scènes de rêve expressionistes de Masao.
Kitano reprend Joe Hisaishi comme compositeur et change de méthode :
" Auparavant, je lui montrais toujours les rushes. Ensuite, je le laissais décider. Cette fois, je lui ai spécifié dans les moindres détails le type de mélodie, la progression de l'intrigue, le genre de musique que je souhaitais. De sorte que je l'imaginais pendant le tournage. Voilà pourquoi la musique colle au film "
UN FILM AUTOBIOGRAPHIQUE
Le film s’assimile à un album de photographies dans son chapitrage (un titre de chapitre = une photo) et son découpage de plan fixe (les mouvements sont très rares et souvent au ralenti). Ou à un road-movie :
" Je voulais que ce film soit un road movie, à pied, car quand on marche, pas à pas, le temps passe différemment "
Bien que distants au début, le duo fonctionne, comme si les deux étaient la même personne. :
" Au début, Yusuke et moi, on ne se parlait pas. Exactement comme nos personnages dans le film. Il m'évitait. Mais à la fin du tournage, nos rapports sont devenus plus ouverts. L'écart qui nous séparait s'est réduit progressivement. Exactement comme dans l'histoire. (...) Mieux vaut ne pas compter sur le talent d'acteur des enfants. Quand ils essaient de jouer ou quand ils jouent trop bien, ça paraît mieux, mais ensuite, je les trouve prétentieux. Je déteste ceux qui jouent trop bien. Je les préfère mal dégrossis. Ou, disons, quand ils restent eux-mêmes "
Takeshi Kitano a appelé son personnage principal Kikujiro, qui est le prénom de son père. En effet, le réalisateur n'a jamais vraiment eu de relations avec son paternel, un homme taciturne, alcoolique et violent. Masao, c’est l’enfant qu’il a été qui rencontre le père qu’il aurait voulu avoir.
" Le personnage principal est un homme d'une cinquantaine d'années qui refuse d'admettre sa déchéance. Il se pose des tas de questions.C'est quelqu'un, sentimentalement, de très maladroit. Il ne sait jamais quoi dire à cet enfant de neuf ans, Masao, qui durant les vacances d'été, débarque dans sa vie sans prévenir. "
Lors de la rencontre fatale avec la mère, Kikujiro, qui n’a pas eu une vie heureuse, va tout faire pour que celle de Masao le soit.
Kitano ne tombe pourtant jamais dans le larmoyant :
" Je veux bien que mes films suscitent du sentiment, mais je ne veux surtout pas de pathos. Alors, Kikujiro invente, dit à l’enfant que ce n’est pas sa mère et préfère l’emmener dans un autre monde. Je préfère cette solution, qui évite les épanchements et qui protège l’enfant de chamboulements affectifs violents "
CINEMA PRIMAIRE
Ce que je trouve fascinant avec Kitano, et comme l’analyse Dionnet (https://www.youtube.com/watch?v=yXt8VgZGJOM), c’est qu’il ne regarde pas le cinéma des autres (c’est du moins ce qu’il prétend) et fait des films comme il le vient, comme un enfant qui fait ses premiers dessins, sans se soucier des contours et des dimensions. Il faut se souvenir que BEAT Takeshi n’est pas seulement réalisateur mais aussi animateur d’émissions télé (qu’il produit en même temps que ses films), éditeur, peintre, romancier, publicitaire et j’en passe.
Dans sa démarche et son résultat, il rejoint ainsi les premiers temps du cinéma, en optant pour des scènes muettes et burlesques (slapstick), avec des scènes de purs divertissements (des gags comme celui de l’aveugle), des jeux de montage simples mais « magiques » (la scène de la pierre qui se transforme en bonbon).
CONCLUSION
Kitano change de registre et réussit à nous surprendre avec un film simple mais diablement efficace. Il regorge d’idées de mise en scène, ce qui peut donner un résultat assez bordélique mais pas déplaisant. On retombe en enfance et on s’émerveille comme Masao, face à cette œuvre de pur cinéma.