CETTE ANALYSE CRITIQUE CONTIENT DES SPOILERS


Le premier film écrit et réalisé par Patty Jenkins (réalisé en 2003), relate l’histoire vraie d’Aileen Wuonos, une tueuse en série qui a commis au moins sept meurtres en Floride entre 1989 et 1990.


Aileen est une prostituée. Un soir, dans un bar, alors qu’elle avait décidé de se suicider, elle rencontre Selby, une jeune lesbienne, contrainte par sa famille d’avoir une sexualité «convenable». C’est le coup de foudre. Bien qu’elle déteste ce métier, Aileen continue de se prostituer pour subvenir aux besoins du nouveau couple. Un soir, elle est violée par un client. Elle le tue de son revolver, par légitime défense (ce qui n’a d’ailleurs jamais été reconnu au véritable procès) et cache le corps. Avec l’argent et la voiture dudit client, Aileen et Selby partent sur les routes de Floride. S'ensuivent des tentatives d’Aileen pour trouver du travail, qui échouent. Aileen retourne sur le trottoir, continue de tuer et de voler des clients qu’elle juge immoraux, avant de se faire arrêter. Elle sera jugée et condamnée à mort (Selby, qui était au courant des meurtres témoignera contre Aileen). Elle sera executée en 2002.


Le film revient sur les faits avec un nouvel angle. On cherche non pas à condamner ses actes mais à les comprendre. Comme Aileen dira elle-même, ce sont les « circonstances » qui importent, ce que les médias de l’époque, très durs à son encontre, ont éludé.


On apprendra par exemple que son enfance a été très difficile. Elle a été violée à partir de ses 8 ans par un parent proche, ce qui fera naître son dégoût des hommes. La première séquence résume parfaitement cette désillusion. L’image forme un cadre dans le cadre où Aileen, enfant, se rêvait star de cinéma. Petit à petit, le cadre s’élargit pour faire place à l’adolescence et les premiers événements violents avec les hommes.


Son désir d’insertion dans le monde du travail « normal » est chaotique. Dans cette société, sans diplôme, tu ne vaux rien.


Aussi, que ce soit la famille de Selby, l’église ou les autres (qui auront un regard moqueur face aux entreintes des deux femmes) tous condamnent leur relation.


Combinées à une passion dévorante pour Selby, une enfant qui a besoin d’être gâtée, ces circonstances amèneront Aileen aux meurtres et aux vols.


Nous avons ici une vision de la monstruosité, avec un ton naturaliste. La photo, un peu sombre, contraste avec l’image habituelle, clinquante et luxueuse de la Floride. Le personnage principal échappe au manichéisme, à l’image des personnages moralement flous des films préférés de Jenkins (Taxi Driver, Macadam Cowboy). Tout comme Travis Bickle, bien que l’on puisse reconnaître sa folie, elle est persuadée de faire le bien, en agissant pour Dieu. Elle dira que le commandement « tu ne tueras point » a été créé par les Hommes, mais que nous ne savons pas ce que Dieu veut réellement. Ce n’est seulement qu’à son dernier meurtre, où elle tue un homme attentionné et fidèle, qu’elle sera prise de remords. On peut aussi remarquer que ce film fait le portrait d’une prostitué tueuse d’hommes en série, alors que la figure du serial-killer à Hollywood est souvent inverse (le sexe reste tout de même un facteur commun).


Pour alimenter le réalisme, la réalisatrice a eu relation épistolaire de 5 mois (7000 lettres !) avec Aileen Wuonos, avant son éxécution. Ces lettres ont surement servis aux passages en voix-off, qui vient ponctuer certaines scènes, comme si Aileen elle-même racontait son histoire à travers le film.


Le réalisme est aussi amené par la performance de haut vol de Charlize Theronn qui ressemble ici traits pour traits à Aileen. Au contraire, Selby (incarnée par Christina Ricci) est très différente physiquement du personnage réel. Jenkins lui a donné un physique plus avantageux, pour éviter la représentation d'un "couple boîteux" qui aurait pu être considéré comme trop pathétique.


D’ailleurs, le couple fonctionne bien grâce aux différences qui opposent les deux femmes. Aileen est mature, indépendante, et débrouillarde (elle marchande contre une pipe, se douche dans les toilettes publiques) alors que Selby est dépendante et gâtée, confinée dans le puritanisme, à l’image des murs blancs de sa chambre. Aileen cherche aussi, dans cette relation, à donner à cette fille l’amour qu’elle n’a pas eu plus jeune. Grâce à Selby, elle retrouvera un bout d’innocence perdue (elle pourra faire un tour dans une roue de fête foraine, sans avoir peur).


Aussi, les deux personnages cherchent à fuir leurs responsabilités, mais reviennent vite à une vie faite de contraintes. Le parallèle est flagrant lorsque Selby revient tard à la maison et qu’Aileen la dispute pour ne pas l’avoir prévenu de sa sortie. On peut retrouver une scène identique en première partie, entre Selby et sa mère d’accueil.


Malheureusement, l’histoire est très centrée sur Aileen. On en apprend trop peu sur Selby, qui est pourtant un personnage clé, ni même sur l’ami d’Aileen, Thomas, peut-être le seul homme en qui elle a confiance.


Réaliser un film qui cherche à comprendre une tueuse en série, avec un point de vue détaché (au contraire d’un Taxi Driver, qui plonge le spectateur dans la tête de Travis), dans une ambiance naturaliste, morne et désespérante (qui souffre d’ailleurs de quelques longueurs), est un exercice périlleux que Jenkins réussit avec finesse. Bien qu’il ne tire pas sur le pathos, on s’émeut du parcours de cette femme qui, par des moyens condamnables, cherche à survivre, exorciser ses démons et être heureuse.

Créée

le 17 août 2017

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