(SPOILERS)
Résumé semi-détaillé :
Jean (Claude Mann) est un jeune employé de banque à Paris. Son ami Caron a remporté une somme importante à la roulette et l’invite à venir jouer au casino d’Enghien. C’est fun et on peut gagner gros. Jean revient à la maison, fait part de la chance de Caron à son père, qui lui conseille de ne pas le suivre, c’est trop risqué et on finit accroc. Jean hésite et se décide à y aller. Dans l’entrée du casino, une jeune femme blonde platine (Jeanne Moreau) est virée par les employés du casino, elle aurait triché. Jean joue et gagne beaucoup d’argent (la chance du débutant quoi). En revenant à la maison, il montre à son père tout ce qu’il a gagné. Le paternel le vire, pas de joueurs sous mon toit. Jean avait l’intention de profiter de ses gains pour prendre des vacances.
Arrivé à Nice, il prend un hôtel et fonce au casino où il rencontre la femme du casino d’Enghien. Ils se rencontrent et passent la nuit ensemble. C’est une femme divorcée, accroc au jeu. Le lendemain, rebelote, ils partent pour les casinos. Le film s’enchaine alors entre pertes et gains, avec nos deux personnages qui font connaissance entre deux parties. Ils gagnent beaucoup et se rendent à Montecarlo. Jackie fait part de sa haine envers l’argent et le luxe : ce qu’elle aime c’est le jeu, l’aventure, le mystère du hasard. Jean a dû mal à comprendre les volontés de Jackie, dont il est déjà tombé amoureux : est-ce qu’elle profite de lui ou l’amour est réciproque ?
Après avoir perdu de l’argent en conséquence, ils retournent à Nice. Jean est sans le sou et demande de l’aide à son père qui lui envoie par courrier suffisamment d’argent pour rentrer à Paris. Jean propose à Jackie de le suivre, elle refuse et s’en va au casino. Jean la retrouve, lui demande si elle ne veut toujours pas partir avec lui. Concentrée dans sa partie, elle lui demande de s’en aller. Jean s’en va et Jackie le rattrape, pour l’embrasser. Ils partent tous les deux à Paris.
La critique-analyse :
Un deuxième film de Jacques Demy plutôt sombre et sobre, qui parle d’un sujet trop peu abordé à mon goût (à vrai dire c’est le seul que j’ai vu qui en parle vraiment) : le jeu ou plutôt l’addiction au jeu. L’addiction vient du fait que le jeu ne s’arrête que lorsque l’on a plus de sous, et, lorsque l’on en regagne un peu, on y retourne. Ce qui est intéressant dans la mise en scène de ce thème est la sobriété et l’austérité. Les casinos ne sont pas des endroits très cools, contrairement aux clichés que l’on peut avoir du cinéma. Non, c’est glauque : des croupiers robots, un silence de cathédrale, le bruit mécanique des jetons, les murs unicolores et fades. D’ailleurs, ces murs passent du blanc au noir au fur et à mesure du film, pour montrer l’évolution de la relation de Jean avec le jeu : c’est au départ une découverte naïve qui devient une obsession plus sombre, tout comme l’amour que Jean va porter pour Jackie.
Car oui, le thème du jeu est ici couplé avec ce sentiment qui vient percuter notre protagoniste ingénu. On pourrait faire un long catalogue des relations étroites entre le jeu et l’amour (ne serait-ce que le hasard, les gains, les pertes et l’addiction). Et l’utilisation ingénueuse de Demy du noir et blanc se trouve aussi dans l’évolution du sentiment amoureux, qui ronge Jean. Il est brun en costard sombre très serré, au début du film, et Jackie tout en blanc (du moins à l’écran) et blonde platine. Puis Jean, happé par le magnétisme de Jackie, finira même par porter du blanc. On retrouvera cette utilisation de la couleur pour signifier les sentiments ou les relations entre les personnages plus tard dans la filmo de Demy (idée que je trouve très intéressante : ce qu’on est ou ce qu’on devient se ressent jusque dans nos aspects extérieurs, la couleur des endroits où l’on vit et où l’on aime vivre).
Aussi, le jeu, tout comme l’amour, peut être une drogue. Les scènes de casino se répètent, les mêmes bruits et situations s’enchainent au même rythme lancinant. Les joueurs parlent BEAUCOUP d’argent, mais ne l’aime pas : « c’est pour ça que je m’en débarrasse » dira même Jackie. C’est à se demander si ce sont les gains du joueur qui lui font plaisir ou bien l’acte même de jouer. On peut même se dire : où est le plaisir ? Sérieux, on doit bien se faire chier dans ces casinos aux allures d’hôpitaux, avec un jeu aussi stupide (désolé pour les joueurs de roulette). En même temps, moi qui ai été assez accroc aux jeux vidéo, je m’identifie à ces joueurs, puisqu’aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu passer autant d’heures devant des jeux comme PES, répétitifs au possible, qui ne me rapporterait finalement rien. C’était donc bien l’acte de jouer qui me plaisait et non pas ce que cela me rapportait.
Ce que j’ai aussi beaucoup aimé dans ce film, c’est la relation qui reste mystérieuse entre les deux personnages. Oui, Jean est amoureux de Jackie, il semble même très passionné. Mais pour Jackie, on ne sait pas ! Même à la fin on pourrait se demander si elle ne le suit pas pour profiter encore de lui. Plusieurs fois on l’a vu fricoter avec d’autres gars, et on sait qu’elle a menti à son ex-mari qui lui avait demandé d’arrêter le jeu. Elle pourrait très bien recommencer. Mais, plutôt que de la prendre pour la dernière des michtos, Demy réussi à nous la faire prendre en pitié (du moins c’est mon cas). Elle est très forte (on l’a voit presque rugir dans sa première apparition quand elle se fait virer du casino d’Enghien, avec sa coiffure de lionne) mais en même temps très vulnérable, vu son passif et sa condition sociale, en montagne russe : un jour elle sera dans le luxe, le lendemain elle couchera dehors. Une femme forte, qui sait ce qu’elle veut, et utilise ses armes (le charme, la ruse) pour s’en sortir, à l’image de Lola, personnage du premier film de Demy. Jean à côté, semble très terne et naïf, il devient vite le toutou de Jackie. Il fait son éducation sentimentale avec elle. On s’identifie assez facilement à lui, et on ne veut que son bien.
C’est un petit film plutôt sombre sur l’addiction au jeu, l’argent et l’amour. Je ne peux qu’aimer. Ça doit surement venir de ma fascination pour l’argent et ce qu’il peut provoquer chez l’Homme : on est capables de beaucoup de choses pour ces bouts de papiers, qui semblent plus important que tout. On en est obsédé, on en veut toujours plus, même si on vit confortablement (le mec travaille dans une banque, ça va y’a pire comme situation). Mais c’est vrai que le film s’efforce de traiter d’une maladie pas très ragoutante : l’addiction au jeu. Et qui dit addiction dit répétitions de scènes de casino et une situation des personnages qui tourne en rond (Jean ira à Nice puis Montecarlo, puis Nice, puis retour à Paris, un trajet circulaire donc, comme la roulette). Pour un spectateur, c’est difficile de s’attacher à une histoire qui finit presque en status quo.
C’est un film qui sera boudé par la critique, peut-être trop dégoûtée par autant de noirceur et d’austérité. Demy enchainera sur des films plus colorés, couleur qui n’empêchera pas de traiter de sujets toujours très sombres, comme la guerre et l’absence, dans *Les parapluies de Cherbourg*, l’année suivante, en 1964.