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Plus discret qu'il a pu l'être jusqu'ici dans cette filmo, Joe Hisaishi demeure pour autant le bras armé de Kitano, son prolongement. Peu de cinémas me donnent autant cette sensation d'harmonie entre l'image et la musique, d'un tout, d'un volume tridimensionnel cohérent, d'un vrai dialogue entre l'auteur et le compositeur. Je sais bien que Lynch et Badalamenti c'est l'amour fou, et d'autres, mais un Kitano... j'sais pas, c'est un bel art total, quoi. A Scene at the Sea s'effondre peut-être un peu sans Hisaishi, et vice versa. C'est pas juste « un bon choix pour ce film », c'est le film, vous voyez ?

Kitano, lui, gagne en finesse dans sa mise en scène et son montage à chaque film. Parfois loufoque mais jamais grossier, il sait toujours ce qu'il fait. Par des détails disséminés du bout du doigt il construit discrètement ses climax. Je pense forcément à la scène de la « rencontre » avec la mère de Masao, qui est un jeu de miroirs entre les deux personnages et le spectateur, un échange de « je sais que tu sais qu'il sait qu'il sait que tu sais ». Grâce à la photo vue plus tôt on sait que Kikujiro reconnaît la dame, grâce à la réplique « Tu serais comme moi ? » on sait que Kikujiro a vécu quelque chose de similaire et qu'il en train de le revivre doublement dans cette scène, d'abord en lui-même et surtout en empathie avec Masao. C'est aussi simple que puissant, ça rebondit entre les deux personnages et ça vous prend, moi ça m'a pas loupé.

Mais son génie de mise en scène c'est pas que les grands moments, c'est aussi toutes les petites idées, c'est la mère de Kikujiro qu'on reconnaît sans présentation simplement par son impolitesse, c'est Kikujiro qui révèle son prénom en riant suivi d'un « ... bakayaro ! » comme disant au spectateur « Quoi t'as pas encore compris que le film parle aussi de ce personnage et pas que de Masao, mou du bulbe ? »

Après le film j'ai demandé à mademoiselle : « Je me souviens plus... qui a frappé le premier ? Kitano ou le routier ? » Le routier, qu'elle me dit. Alors j'étais bien sûr : même dans les moments de violence, même quand on lui a mal parlé, Kikujiro n'a jamais donné le premier coup dans ce film, à l'exception de la scène du pédophile. De là, une distinction claire est faite entre la violence des paroles et la violence physique, et son personnage repoussant, désagréable et impoli au-delà des limites imaginables, n'a factuellement fait que le bien dans cette histoire. C'est un propos intéressant de la part de Kitano, qui le contredira d'ailleurs dans Aniki où les mots et les balles ne feront à nouveau plus qu'un.

La période de répit avec les types rencontrés sur la route pourrait avoir des allures de redite sonatinesque, et c'en est sans nul doute au moins un écho, mais pour moi les enjeux sont ici très différents : par la force le personnage ne plie plus les autres à le distraire de sa propre mort ; c'est cette fois, à travers un enfant, de son passé qu'il se fait chevalier. Un propos moins désespéré, une seconde étape à Sonatine. Cette planque des personnages est d'ailleurs aussi une planque du réalisateur, c'est ici qu'il s'offre toutes les libertés avec le cinéma, qu'il transforme des yakuzas en figurines de combat et des motards en poissons. C'est dans ces scènes que Beat Takeshi se pare de ses sourires les plus sincères et humains.

Un film qui pourrait presque paraître « mineur » dans la filmo de Kitano si on n'y regarde pas de près, mais en fait je crois qu'il n'y a pas grand-chose de mineur chez ce gars. Des Kids Return ou des Jugatsu, peut-être, si on me force à en nommer, mais ne soyons pas trop tentés de s'arrêter à l'apparente simplicité de ses films. À mesure que les jours passent et que l'œuvre fait son chemin dans ma tête, l'Été de Kikujiro sonne de plus en plus comme un grand machin.

Scolopendre
9
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le 19 mai 2022

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