Le récit de base de L'été dernier a de quoi perturber. Mais ce qui est brillant dans le dernier film de Catherine Breillat, c'est sa manière qu'elle a de filmer les corps suffisamment longtemps, dans des plans latents, entre les scènes pour offrir de vraies mises à nues, autant lors des séquences d'amour que lors de simples discussions ou pendant le travail de Léa Drucker, interprétant Anne, avocate renommée mariée à un mari businessman.
Le ton est très vite donné : la vie qu'a choisi Anne s'ancre dans la froideur d'une vie bourgeoise. Avec un mari absent aux histoires peu intéressantes, et un lien compliqué avec les enfants, tout cela enroulé dans une ambiance estivale de grand jardin et de baignades au bord du lac, Anne vit dans une sorte de belle prison, où tout est codifié dans le cliché de la famille bourgeoise. D'autant plus que son métier consiste aussi à être froide avec les faits, pour défendre le mieux qu'elle peut ses clients, qui sont des mineurs victimes d'agressions sexuelles. Mais la subtilité de la réalisatrice se joue dans son montage : en évitant le plus possible les champs contre champs pour livrer des plans souvent longs sur le visage d'Anne, elle ouvre une fragilité, une ambiguïté, un profond mal être qui la rend très vulnérable dès lors qu'elle succombe au désir de son beau fils. Ce n'est pas tant l'acte en tant que tel qui est le centre du film (bien qu'il instaure évidemment un profond malaise) mais le regard que porte la caméra sur elle. Comme si elle représentait son mari et son beau fils, fascinés par la beauté électrisante qu'elle dégage, sans qu'elle ne soit jamais vraiment consentante dans cet échange, bien que le désir de l'interdit finisse par la toucher. Ce choix de faire peu de montage et de proposer de longs moments dans le regard d'Anne, la met totalement à nu face à ce qui lui arrive, malgré sa volonté de garder le cap et de ne jamais montrer un tant soit peu une vulnérabilité.
C'est d'une grande maitrise, car avec ce procédé de mise en scène, le film ne tombe jamais dans un manichéisme débile, ni dans une larmoyante romance, mais bel et bien dans la complexité des rapports humains, mais surtout des hommes et des femmes. Dans la fascination de voir en Théo un homme qui la comprend et qui lui ouvre des portes, Théo voit en Anne une personne qui le comprend aussi. Mais cette entente se retrouve dans le désir de l'autre et le rapport à ces deux corps, magnifiquement filmés, dans ce lâché prise qui n'oublie pas que ce qu'il se passe n'est pas normal. Et c'est au spectateur de se retrouver dans la position de juge dans ce film. Là aussi, c'est intéressant. La réalisatrice n'apporte jamais de solutions aux problèmes qui s'imposent, et profitent de cette complexité en filmant sans juger les personnages, y compris quand ils sont au fond du trou, à l'instar d'Anne qui se met à mentir éhontément pour tenter de faire disparaître pour toujours cette relation. Car cette entente laisse vite place à une incompréhension mutuelle, mise en image par l'immaturité évidente de Théo mais aussi par l'amour passionnel que semble avoir développé Anne.
L'été dernier est un film rempli de complexités et de paradoxes, qui s'ancre dans des codes bourgeois pour mieux les détruire et créer le malaise, tout en proposant une romance sincère qui s'explique par la volonté de l'interdit, mais aussi par le regard qu'ont les hommes face à cette femme. C'est le centre du film. Et Léa Drucker dévore chaque image dès lors qu'elle apparaît, en jouant d'une incroyable justesse cette femme ancrée dans ce monde codifié, qui ne se laisse jamais explicitement dévoré par les émotions. Tout en nuance, le jeu de Théo offre aussi une fraicheur maladroite, dans ce personnage de petit bobo racaille. Et Olivier Rabourdin n'est pas en reste dans ce rôle de businessman, mari fragile et manipulable, qui vit aussi dans des codes très formatés. Mais à travers ces codes, la lumière et les plans du film dévoilent une intimité profonde à chaque personnage et à leurs corps, sans jamais tomber dans le nu pour le nu, mais juste par le biais d'une mise en scène qui observe attentivement les corps.