Ayant récemment débuté ma chronique de Theoreme (1968) en disant qu'à chaque fois que je découvrais un film de Pier Paolo PASOLINI j'étais stupéfait mais qu'en dépit de cela, j'avais besoin de laisser passer du temps avant de me confronter à un autre de ses longs métrages, je n'imaginais pas qu'à peine 48 heures sépareraient une nouvelle découverte et j'avais même dans l'idée de regarder Porcherie (1969) que je venais d'acquérir. Finalement j'ai regardé cet évangile et j'en sors conquis mais avec une interprétation personnelle que je m'apprête à vous dévoiler en gardant bien à l'esprit que je ne suis pas un grand spécialiste du personnage Pasolini et que cette théorie sur ses intentions n'est que mon impression subjective.
Pasolini choisit de mettre en image un évangile précis et de le faire de la façon la plus littérale possible, s'abstenant ainsi de se laisser aller à toute forme d'interprétation de ces écrits religieux, fondateurs du catholicisme. Si la mise en scène ne souffre d'aucune critique sur le plan esthétique, ce choix d'une évocation fidèle aux écritures pose question. Il pose question dès lors qu'on connait l'anticléricalisme de Pasolini, dès lors qu'on connaît en revanche sa foi profonde au christianisme, dès lors qu'on sait que ses parents, tous deux des intellectuels, croyants mais pas bigots, critiques eux aussi envers le dogme et le clergé l'ont élevé dans une pratique de la religion ouverte et tout sauf intégriste.
Pour revenir un instant sur la mise en scène, et cela va apporter mon premier argument en faveur de ma théorie, le film semble avoir été pensé et mis en scène comme un documentaire, comme si par magie une équipe de documentaristes s'était retrouvée à suivre les protagonistes et les faits sensés s'être produit il y a deux millénaires dans cette partie du monde. Or l'on sait de façon absolument certaine - l'église elle même l'ayant reconnu - que les évangiles ont été écrits plusieurs siècles plus tard, qu'ils sont apocryphes et que si le clergé a retenu seulement quatre d'entre eux, ils en existe d'autres et que le choix des évangiles élus et devenus canoniques s'est fait sur des critères qui n'étaient pas forcément religieux ou spirituels mais plutôt dictés par les intérêts du clergé à conforter auprès de populations illettrées une hiérarchie qui servirait sa main mise sur le monde. On connait par exemple une évangile selon Marie Madeleine qui remet en cause totalement la place de la femme dans l'église ou une selon Judas qui elle remet en question l'idée de la traitrise de ce dernier et du dessein du Christ. Ce dernier évangile servant d'ailleurs de base au film La Derniere tentation du Christ (1988).
Ne doutant pas du fait que Pasolini fut affranchi de ces connaissances, pourquoi dès lors, connaissant sa propension à critiquer une église dogmatique et décorrélée des intérêts des plus faibles, a t'il à ce point tenu à délivrer un film aussi fidèle aux écritures canoniques ?
Je pense en ayant vu le film, qu'on peut parler d'un acte de piraterie, d'un acte de filouterie absolument malin et insolent. En effet en agissant ainsi, il écorne déjà pas mal l'image de Jésus, ici Jésus n'apparait pas comme le doux hippie un peu exalté et pétri de bonté à laquelle l'iconographie populaire nous a habitué, mais il se révèle un homme froid, assez direct. Peu tolérant, d'une certaine façon intégriste. Sa démarche mais surtout ce visage anguleux, barré d'un sourcil accusateur en font un Christ porteur de glaive et d'opprobre, ici Jésus n'est pas sympathique.
Une fois la réputation de ce dernier mise à mal, Pasolini peut en respectant à la lettre le texte, élu d'un choix d'hommes avides de pouvoir sous le sceau d'une respectabilité spirituelle finalement secondaire, mettre le nez du clergé dans l'ignominie et le cynisme de ses dogmes. La promesse en premier lieu d'un paradis pour les plus pauvres, comment ne pas y voir un moyen odieux de maintenir une population au plus bas en lui faisant miroiter une utopie future et de cette façon garder pour le clergé et quelques puissants les richesse terrestres ?
Je pourrais encore lister d'autres points qui tendent à prouver que Pasolini accuse ainsi en inversant les stigmates l'église de ses failles idéologiques et du profond problème qui l'accable et vident peu à peu les lieux de cultes bien trop éloignés des aspirations des croyants.
Encore une fois c'est une idée subjective dont j'ignore la réalité ou la volonté du cinéaste mais qui me parait évidente.