En 1977, il y avait déjà des suites à tout. Y compris aux films les plus complets, les plus définitifs, ceux qui avaient déjà bouclé la boucle. Parfois même avec génie, comme ce fut le cas pour L'Exorciste, premier du nom. Mais pour la plupart des producteurs hollywoodiens, il est impossible qu'un succès reste sans sequel.
Très peu de temps après la sortie phénoménale de L'Exorciste, la Warner demande à William Peter Blatty d'écrire une suite immédiate aux déboires de Regan MacNeil avec le démon. Mais le scénariste n'arrive pas à imaginer une histoire crédible et abandonne la partie. Face à la position claire et nette de Blatty, le studio se tourne vers William Friedkin qui, totalement absorbé par le projet Sorcerer, refuse à son tour la proposition. Peu importe, la Warner décide alors de se passer des créateurs originaux et met en chantier cette fameuse suite très attendue.
Chargé d'enquêter sur la mystérieuse mort du père Merrin, survenue 4 ans plus tôt lors d'un exorcisme à Georgetown, le père Lamont retrouve la trace de Regan, aujourd'hui adolescente et toujours possédée par le démon Pazuzu. Un affrontement mystique et chargé de symboles ésotériques s'initie alors entre le prêtre et le Mal à l'état pur...
En engageant le scénariste William Goodhart, passionné d'occultisme, la Warner souhaite par tous les moyens enterrer le film original en offrant à sa sequel beaucoup plus d'exorcismes, d'exotisme spectaculaire et de frissons. Le dramaturge se base alors sur les théories du prêtre jésuite français Pierre Teilhard de Chardin qui avait inspiré le personnage du père Merrin à Blatty. Scientifique réputé, chercheur, paléontologue, théologien et philosophe, Teilhard de Chardin n'avait pourtant rien d'un exorciste et Goodhart s'inspira de la véritable nature de cet homme d'église pour créer le personnage du père Lamont. Ainsi, la bataille entre le Bien et le Mal se centre avant tout ici sur la conscience humaine avec l’idée précise que, dans le cadre de la théologie catholique, les différentes consciences pourraient être réunies en une seule grâce à l'hypnose, même si cela peut forcément entraîner des conflits intérieurs entre ceux qui recherchent uniquement le Bien et ceux qui laissent leur nature humaine voguer entre les flots du Bien et du Mal.
C'est justement le fait que le script adopte une approche bien plus métaphysique et cérébrale que John Boorman, auréolé du succès de Délivrance et premier choix du studio pour la réalisation de L'Exorciste qu'il refusa par simple répugnance envers les déconvenues infligées à une enfant, accepte de prendre les rênes de la suite. Regan étant désormais adolescente et libre de ses choix, l'idée d'emporter le public dans un voyage cinématographique aussi ambitieux qu'aventureux en dotant la jeune héroïne d'un don de guérisseuse enchante le cinéaste. Mais c'est malheureusement l'ambition dont se pare le réalisateur qui fait incontestablement défaut au film. Du haut de son ego surdimensionné (Linda Blair parlera même de mégalomanie aigüe pour définir le cinéaste), Boorman exige que Goodhart réécrive le script en incorporant ses propres idées, ce que le scénariste refuse. Épaulé par son ami Rospo Pallenberg, le cinéaste réécrit plusieurs fois le scénario durant le tournage, dénaturant totalement l'histoire originale. Linda Blair dira : "C'était un très bon scénario au début. Puis ils l'ont réécrit cinq fois et cela n'a finalement pas été le même film pour lequel nous avions tous signé".
À sa sortie, Exorciste II : L'Hérétique ne reçut que critiques acerbes de la part des professionnels et grossiers quolibets de la part des spectateurs aussi indignés que déçus. Le flop commercial fut considérable et William Peter Blatty préféra totalement oublier ce second opus lorsqu'il s'attela, quelques années plus tard, à l'écriture de L'Exorciste : La Suite, considéré aujourd'hui comme la seule et unique sequel du film de Friedkin.
À la revoyure, il reste pourtant de jolis vestiges dans l’œuvre voulue par Boorman. Beaucoup trop d'ambitions à la clef, il est vrai, mais un sujet passionnant qui plonge le spectateur aux confins d’un questionnement ésotérique et mystique dans les méandres symboliques de la possession démoniaque. Peut-être même, à mon avis, la direction la plus parfaite à prendre envers ce sujet et où la majestueuse musique, signée Ennio Morricone, accentue la poésie sensorielle des images voulues par Boorman. Pas une grande réussite formelle dans son ensemble, certes, mais loin (très loin, même) d'être la nullité absolue qui sied à la malencontreuse réputation du métrage depuis 46 ans.