C'est avec Mr. Deeds Goes to Town que je parviens enfin à comprendre ce qui me séduit autant chez Capra. Il m'aura fallu voir quatre films pour comprendre, mais ça y est, c'est saisi. Reste à le mettre en mots, l'exercice ne sera pas simple mais tentons-le malgré tout.
Ce qui me séduit chez Capra, ce n'est pas sa réalisation, pourtant formellement superbe - au point qu'à deux reprises pour Mr. Deeds Goes to Town j'ai du faire pause, rembobiner, et revoir une scène dans le te contexte de 1936 et ... Wouah ! -, ce n'est pas sa capacité à sublimer des acteurs épatants, des rôles titres - époustouflant Gary Cooper, délicieuse Jean Arthur - aux rôles secondaires jusqu'à la moindre trogne en arrière plan.
Ce ne sont pas non plus ses dialogues, toujours aux petits oignons - nous aurons droit ici à une savoureuse "People here are funny. They work so hard at living they forget how to live" -, son propos sous-jacent naviguant entre foi dans le rêve américain et dénonciation du fossé social post crise de vingt-neuf, où encore la galerie de personnages profondément touchants, chacun à leur façon, que Capra leur accorde le rôle principal ou deux répliques.
Tout cela fait de Frank Capra l'immense réalisateur acclamé ici et ailleurs. Ce n'est pas ça qui fait qu'il réussit à me toucher profondément à chaque fois. Non, ce qui me bouleverse avec Capra, c'est son imprévisibilité de chaque instant pour raconter une histoire pourtant terriblement prévisible quand on connait un brin le bonhomme. Avec quelle simplicité il réussit, avec la scène la plus innocente, le nœud scénaristique le plus commun, à me chatouiller l'âme.
Avec Mr. Deeds Goes to Town, on suit l'histoire d'un candide d'apparence, d'une trempe américaine telle qu'on la rêve, goûtant aux plaisirs simples d'une vie dans sa communauté, brusquement embarqué à New York suite à un faramineux héritage. Une New York de vautours où il sera se fera cabosser à chaque rencontre, sans jamais perdre l'espoir de tomber un jour amoureux d'une demoiselle en détresse.
C'est le pitch, on le lit et on sait déjà comment ça va finir, il n'y a pas de réel suspens, et pourtant qu'est ce qu'on s'amuse, qu'est ce qu'on frémit, qu'est ce qu'on s'enthousiasme, avec quelle maestria Capra sait appuyer tel regard, user de telle situation d'apparence anodine, pour ferrer son spectateur et l'amener jusqu'au bout de film... La naïveté générale d'un conte de Capra - parce que c'est ça en fait, je renoue avec Capra avec les sensations d'un conte au coin du feu - n'appartient qu'à lui. N'importe qui d'autre ne saurait pas raconter ce genre d'histoires sans accoucher d'un film déséquilibré, forcé, trop ou pas assez engagé, trop naïf ou trop cynique, bref...
Lancer un film de Frank Capra, c'est s'exposer à un miracle en devenir, aux apparences faussement pataudes les cinq premières minutes, qui toujours parviendra à s'achever sur une note qui laisse profondément heureux. La magie du cinéma à son pinacle.
J'ai plus parlé de Capra que du film, j'en conviens... Alors pour résumer, Mr. Deeds Goes to Town, c'est beau, touchant, distrayant, émouvant, ça laisse l'âme légère et confiante. Donc allez-y.