Ca n'est pas parce que T.S. Spivet est un film sur l'enfance qu'il est un film pour enfants.

Jean-Pierre Jeunet est un auteur qui n’a cessé d’intriguer, d’une part par sa patte évidemment reconnaissable entre mille, d’autre part par son caractère à pouvoir l’associer à des films de genres très différents. Il est en effet parfois étranger d’assimiler le fait que le réalisateur d’Alien, la résurrection soit aussi celui du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. On reconnait chez Jeunet (avec ou sans son acolyte de jadis, Marc Caro) un cinéma jouant notamment sur le désuet et sur la sensation. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, on a perpétuellement une sensation de « physique » voire de « réel » dans les univers parfois très fantasmés qu’il développe. Néanmoins, Jeunet commettait avec MicMacs à tire-larigot une première véritable erreur de parcours (bien que son volet Alien divise). Synthèse too much de toute l’identité Jeunet, on ne savait pas vraiment où ce dernier voulait en venir, si ce n’est délivrer un ersatz de tout ce qu’il avait déjà tenté. Pour son dernier métrage, Jeunet franchit de nouveau l’Atlantique et s’embarque dans ce qui semble être une paisible balade country adaptée d’un célèbre roman de Reif Larsen. Verdict ?


Grâce à L’extravagant Voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet Jeunet rachète son précédent faux-pas. Mettant en scènes les pérégrinations d’un jeune garçon à travers le continent américain, Jeunet parvient à adapter des thèmes qui lui sont chers (à commencer par l’enfance et sa fragilité, mis notamment en scène dans La Cité des enfants perdus, mais nous y reviendrons) au sein d’un nouveau cinéma. Par nouveau n’entendons pas qu’il change du tout au tout son cinéma, mais qu’il évolue dans un univers qu’il a assez peu approché : celui des grands espaces. Au cours de sa carrière, Jeunet a principalement filmé des univers profondément urbains ou mécaniques. Dans Un long dimanche de fiançailles, il s’engageait le temps de quelques séquences dans le monde rural. Dans T.S. Spivet (il faudra me pardonner d’abréger le titre !), Jeunet s’y engage largement plus, et y prend d’ailleurs un plaisir qu’il ne dissimule pas.


Sous certains angles, son approche des grands espaces en question ne manque pas de rappeler le très bon film de David Lynch, Une histoire vraie. A l’instar de ce dernier, le principal adversaire du film est l’immensité du territoire. Chez Lynch, nous nous retrouvions face à la faiblesse d’un vieux bonhomme désireux de traverser la moitié des Etats-Unis sur son tracteur à tondre la pelouse. Chez Jeunet, on retrouve une partie de cette faiblesse dans l’enfant, ce chétif mais savant bambin désirant se rendre à Washington D.C pour pouvoir récupérer un prix scientifique.


Afin de mettre en place ce contexte de fugue, Jeunet décrit une famille sur le déclin qui ne vit plus. On reconnait une mélancolie ambiante qui n’est pas étrangère au cinéaste. Le voyage entrepris par Spivet est visiblement le seul moyen de débloquer cet univers. Comme dans l’excellent Moonrise Kingdom de Wes Anderson, il y a dans T.S. Spivet une quête de la maturité, une recherche prématurée de la fin de l’enfance.


Au gré des rencontres faites par notre jeune héros, Spivet découvre de nouveaux mondes lui étant jusqu’alors inconnus. C’est ainsi l’occasion pour Jeunet d’évoquer plusieurs mythes du territoire américain, notamment l’Ouest, la ville, le train ou encore la route. Si la plupart ces thèmes sont traités avec une naïveté attrayante de la part de Jeunet, on peut tout de même s’interroger sur un certain manque de subtilité concernant ce qui touche à la ville, au moderne. On n’échappe pas à une vision clichée et quelque peu laborieuse du talk-show américain ou encore du dîner de gala consensuel. La plupart des défauts du film proviennent d’ailleurs de l’écriture. La touche de la naïveté est parfois trop enfoncée, d’autres scènes, notamment dans le dernier tiers, trainent en longueur et le schéma de l’histoire dévoile une certaine facilité de par son caractère assez prévisible.


Jeunet est cependant un cinéaste assez doué pour offrir suffisamment de choses, d’éléments cinématographiques, d’idées diverses et variées pour compenser les quelques faiblesses de son film. Ainsi, il emploie tout son savoir-faire à sublimer les plus belles parties du métrage. Passé une mise en route assez lente, on s’étonne à être ému dans le film. Jeunet essaye de demeurer léger dans l’ensemble et n’abuse pas du mélo. Il ponctue un certain nombre de séquences (parfois trop) par la musique de Denis Sanacore aux influences country qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle d’Angelo Badalamenti dans Une histoire vraie. Jeunet ne néglige pas non plus des instants assez simples, sans artifices, ce qui est tout de même très appréciable là où d’autres auraient fait pleurer les violons.


Une des qualités de T.S. Spivet est également la justesse de ses acteurs. Grâce à un très bon choix, l’interprète de Spivet, le jeune Kyle Catlett porte le film du bout de ses petits bras. On avait de quoi redouter la direction d’acteurs pénible mettant en scène un gentil gamin finissant par être imbuvable par sa niaiserie, néanmoins Spivet demeure très juste. C’est une réflexion qu’on peut apposer à l’ensemble du casting, notamment à Helena Boham Carter qui, bien dirigée, peut donner de très belles choses (notamment lorsque son cher mari n’est pas dans les parages). Seul le petit frère de Spivet, assez anecdotique, laisse un sentiment de doute quant à l’interprétation. Dommage, dans la mesure où son personnage est une clé du scénario. Passé cela, on savourera la petite apparition de Dominique Pinon, partenaire de longue date du réalisateur, qui nous offre cette tendresse et ce côté bourru qu’on affectionne tant.


C’est surtout sur le plan formel que Jeunet se surpasse. Il livre un film très esthétisé mais néanmoins d’un soin extrême, qui ne fait pas l’erreur dans tomber dans la parodie comme pouvait le faire Micmacs à tire-larigot. Il sculpte avec son chef-opérateur, Thomas Hardmeier (un choix étonnant : une carrière pas forcément brillante et Jeunet n’a jamais collaboré avec lui) une photographie tout en relief (sans parler de 3D pour l’instant) qui sublime aussi bien les grands espaces américains que les univers plus renfermés ou plus urbains. L'image numérique vit pleinement et ne manque pas d’ailleurs de diversité grâce aux différents environnements. Répondent aussi présents les petites idées ou gadgets de Jeunet, ces objets cinématographiques atypiques parfois désuets que l’on retrouve dans ses films. Ici, il utilise ses idées de mise en scène notamment avec la 3D (supervisée par Demetri Portelli ayant officié sur Hugo de Martin Scorsese) dans l’espace négatif, c’est-à-dire grossièrement dans ce qui « sort » de l’écran. On peut s’interroger sur cette manière d’utiliser la 3D, normalement anti-cinématographique au possible tant cela peut refléter une logique de « foire », mais ces effets demeurent très ponctuels au sein du film et s’insèrent tout de même remarquablement dans son univers. Le reste du métrage déploie une stéréoscopie de profondeur assez incroyable, on ressent que le film a été pensé en 3D.


S’il y a fort à parier que L’extravagant Voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet ne fera pas l’unanimité, on est néanmoins en mesure d’affirmer, en toute bonne foi, qu’il demeure supérieur à Micmacs à tire-larigot. Les mauvaises langues diront que ça n’est pas compliqué. Qu’importe, le dernier film de Jeunet est surtout beau et mêle avec une certaine habilité naïveté et mélancolie. Imparfait, pas le meilleur de son auteur, mais la preuve que Jean-Pierre Jeunet a encore bien des choses à dire et à faire au sein du cinéma.

Lt Schaffer

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