Philippe Labro est un journaliste - écrivain - cinéaste. Je ne connais pas du tout le côté écrivain mais j'ai eu ma période "Labro-cinéaste" quand je l'ai découvert sur le tard dans les années 80. Et j'ai toujours trouvé qu'il y avait un fond de "Labro-journaliste' relativement important, toujours respectueux, dans ses films, que ce soit "Sans mobile apparent", "la crime" ou celui qui nous intéresse aujourd'hui "l'héritier".
Des trois films ci-dessus, celui qui m'a le plus fasciné c'est sans conteste "l'héritier". L'histoire, c'est quelques semaines de la vie d'un patron de sidérurgie et de presse, Bart Cordell, héritier du Groupe Cordell, dans laquelle s'invite brutalement la politique et l'attaque d'un groupe étranger (italien) pour la prise de contrôle du groupe Cordell.
Mais c'est surtout l'histoire, non vraiment dite dans le film, de la fin - probable - d'un modèle de gestion et de conduite de ces empires financiers. Le modèle de gestion dynastique d'un groupe où le pouvoir est complètement centré sur une personne héritière de tous les actifs et qui concentre tous les pouvoirs de décision s'oppose à celui, bien plus robuste, de la multinationale.
Mais, ça, c'est ce que je déduis de l'ensemble du film d'autant plus qu'une fin alternative (dans laquelle le modèle dynastique se perpétuerait) a été très violemment réfutée et refusée par Philippe Labro lui-même.
Pour revenir à ce film où le jeune Bart Cordell reprend à la volée tous les pouvoirs laissés par son père mort accidentellement, on assiste à un magnifique jeu entre les différents responsables où le maître mot est "conserver sa position". Ce qui se traduit en clair par de somptueux numéros d'acteurs.
Bart Cordell, c'est Jean-Paul Belmondo dans un rôle de séducteur, manipulateur, brutal et rusé.
Son éminence grise c'est un toujours excellent Charles Denner qui donne sa pleine mesure dans un rôle d'ami sans condition, de conseiller occulte, de préparateur de dossiers, de mémoire officieuse, enfin d'éclaireur. C'est aussi un acteur avec son humour à froid et son second degré légendaire.
Il va se retrouver face au même personnage qui jouait le même rôle auprès du défunt père Cordell. C'est Jean Rochefort surnommé "le nonce" qui saura s'adapter et prendre le sens du vent. Côté Groupe de Presse, on en voit un qui ne parvient pas à prendre le sens du vent et qui est éliminé, c'est Michel Beaune. Par contre, Carla Gravina, numéro 2 du groupe de presse, va l'emporter à la hussarde, si je peux me permettre cette image...
Bien entendu, on ne s'étonnera pas de trouver François Chaumette en avocat-conseil "véreux" au service des italiens qui veulent s'emparer du groupe Cordell, bien sous tous rapports, et en particulier, du groupe de presse qui leur permettrait d'avoir ainsi une tribune (existante) pour mieux développer leurs idées d'extrême droite (néofascisme italien).
C'est Jean Dessailly en rédac-chef d'un magazine de télé, excellent bien sûr, qui me fait penser que le Labro-journaliste n'est pas loin. Et c'est lui qui citera la phrase de Scott Fitzgerald : "montrez moi un héros et je vous écrirai une tragédie". Et c'est bien l'opinion profonde de Philippe Labro, celle qu'il distille à travers son film, sur les risques et l'avenir de ces dynasties.
C'est un film dense, dramatique, passionnant, monté en thriller avec quelques ellipses permettant une petite marge de manœuvre au spectateur dans l'interprétation des personnages et des situations.