Lorsque je mets un 10 à une œuvre, rarement, il y a souvent de multiples raisons. Mais qu’est-ce qu’une oeuvre ? La beauté des plans à la Nicholas Winding Refn ? La poésie des personnages de Melancholia ? Qu’est-ce qui nous fait nous dire qu’une œuvre artistique frôle la perfection ?
Dans l’Histoire de Souleymane, tout est à nu. Les personnages sont dans leur quotidien, on est propulsés dans une journée typique de Souleymane. Entre stress, pédalage à pleine balle et inhumanité des interactions, on ressent que nous ne sommes pas les bienvenus dans ce quotidien qui est donné à voir.
Les plans, travaillés, n’en sont pas moins froids et glacial. On ressent toute la rudesse de ce Paris bien loin de la Tour Eiffel ou d’une Emily que Macron veut tant garder. Non. Ici, rien que la réalité, la dure réalité.
Peut-être que le personnage, si poignant et si bien interprété, n’est pas vraiment un personnage. Souleymane, c’est chaque livreur Uber, chaque personne arrivant en France, avec des espoirs, ruinés bien souvent par une administration froide et imperméable aux sentiments humaines.
Souleymane, c’est le visage de ces livreurs que l’on voit attendre dans la rue, de ces africains qui, face à la barrière de la langue et l’impersonnalité d’une application mobile, sont abandonnés dans un monde lugubre et froid, impersonnel et cruel.
L’Histoire de Souleymane, c’est l’histoire des impuissants face au rouleau compresseur de la société. C’est un chef d’œuvre, non pas en révolutionnant le cinéma, mais en créant une bulle d’une heure trente qui glace le sang, et conserve son emprise sur l’esprit même une fois sorti de la salle.
Pourquoi 10 ? Non pas pour un Paris onirique, un personnage poétique ou des tableaux extrêmement bien filmés. Non. 10, parce qu’un chef d’œuvre, ça se ressent dans les tripes, cela sort du rationnel. On le sait. On le sent. Pour tous les Souleymane de France, je remercie Abou Sangare de leur avoir donné un visage, et Boris Lojkine de leur avoir donné une voix.