Résumé


Un film extrêmement pertinent, sur des sujets politiques contemporains traités avec une grande justesse et sans misérabilisme.


Détails (et spoilers)


L'Histoire de Souleymane donne à voir par bribes saisissantes le quotidien d'un livreur sans papier dans un Paris lugubre et glacial, et, par son intermédiaire, un peu de ce qu'est la vie de tous ces travailleurs exploités. Exploités par les plateformes, par les loueurs de compte, par les client·e·s abjects et plus généralement par tous les profiteurs de misère et par un système économique basé sur leur souffrance.


La grande force du film réside dans cette manière de s'intéresser à de nombreux sujets avec subtilité, sans jamais tombé dans la grandiloquence, ni dans un excès de pathos ou de misérabilisme. Ce que l'on voit de la vie de Souleymane, aussi dur que cela soit, n'est qu'une partie infime de la précarité qu'il connait et qu'il a connu. La manière dont le métrage expose les différentes oppressions subies par Souleymane parvient à démontrer la multitude de violences auxquelles il s'expose. Mais toujours avec un fin dosage.


Pas besoin d'accumuler les crises de clients désagréables, une seule suffit. Pas besoin de 12 patrons de restaurant racistes ou d'une scène ultra violente avec les flics. Quelques minutes de morgue, de racisme et de mépris de classe suffisent à nous faire ressentir la violence de ces interactions. Pas besoin d'un accident ultra violent à vélo tant la tension est palpable à chaque coup de pédale dans cette atmosphère où le moindre bruit renforce cette impression de danger permanent.


Il en va de même pour la précarité de Souleymane, qui n'est exposée que par des scènes presque pudiques. Un appel au 115 comme premier reflexe matinal, une course effrénée pour espérer prendre ce bus qui mène à un abri, un vélo cabossé comme seul patrimoine, etc.


Boris Lojkine choisit également de nous montrer le système économique informel qui structure la survie d'un sans-papier : le cynisme des loueurs de comptes, la fausse aide d'un coaching qui précède l'entretien à l'OFPRA, la précarité administrative permanente, etc.. Mais il filme aussi ces petits moments de solidarité entre opprimé·e·s : qu'il s'agisse des soutiens moraux entre livreurs, de ces gestes de réconforts venant de travailleurs sociaux ou de bénévoles, ou encore des paroles rassurantes de son camarade de dortoir. Toutes ces scènes n'ont pas besoin d'être démonstratives et grandiloquentes pour nous émouvoir. L'empathie ne doit pas être spécifique à Souleymane, mais elle doit être applicable à toutes les personnes vivants dans ces conditions.


Les dernières minutes du film, lors de l'entretien avec la fonctionnaire de l'OFPRA, servent également à sortir du prisme individuel pour bien comprendre toute l'inhumanité de ce contrôle social qui pousse à hiérarchiser les récits et donc à inventer et à mentir pour être celui ou celle que l'on voudra bien accepter sur le territoire français.


Clôturer le film de cette manière, et sans que l'on connaisse la réponse qui sera faite à Souleymane, confirme la dimension désindividualisante du film. Ces 90 minutes ne sont pas un film à suspense pour savoir ce qu'il sera fait d'un individu, ce que l'on doit penser de son parcours, de sa légitimité à recevoir des documents d'identité français. Ces 90 minutes nous mettent justement face à l'absurdité d'être dans la position de porter un tel jugement sur tous ces parcours dont la violence jalonnent l'existence, et que des sales geôles libyennes aux bureaux bien rangés de l'OFPRA, il n'y a qu'une seule et même idéologie, celle de l'inhumaine sélection entre humains, entre bons et mauvais réfugiés, entre citoyen légitime et rebut des frontières.


9.75/10

Evan-Risch
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Créée

le 25 oct. 2024

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Evan Risch

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