"J'ai faim de quelque chose, et je me sens seul depuis que je suis sur cette Terre."
Oh, comme les films de Frank Capra m'enchantent... J'apprécie de plus en plus cette ingénuité et cette grâce, qui trouvaient leur apogée en La vie et Belle. Mais ici l'optimisme bien que présent n'est pas vainqueur, et la bonté humaine et l'espoir se fanent au contact des ronces prolifères que sont les politiques véreux et des journalistes cupides. L'histoire est simple : Une jeune et ambitieuse journaliste est virée. Elle rédige donc une lettre fictive, sensationnelle, qu'elle publie dans le journal, afin de provoquer un ramdam médiatique, augmenter les ventes, et ce faisant sauver son emploi.
« Miss Mitchell, j'ai été licencié il y a 4 ans. Depuis, je suis sans travail. Au début je croyais que tout ce chômage était dû à nos politiciens véreux. Mais ce monde est pourri. En signe de protestation je vais me jeter du toit de la mairie.
Signé John Doe, un citoyen américain dégoûté. »
Les médias s'emballent, relaient la nouvelle, et dès lors la journaliste, sûre d'avoir trouvé un filon à exploiter, se prépare à attiser l'intérêt des foules en engageant un homme qu'elle pourra exposer aux yeux de tous comme étant l'homme meurtri et suicidaire, seul clamant la vérité quant aux maux de l'époque. Arrive alors le pauvre héros, sale et pataud, accompagné de Colonel, un vieil anarchiste mélomane tenant plus que tout à sa liberté, allant de pair avec sa pauvreté. Engagé de suite, le beau jeune homme est choyé, chéri, gardé dans une prison dorée. Au départ pauvre pouilleux, il se transforme au fur et à mesure, incarnant au final le gentleman idéal ; mais notre intérêt pour lui grandissant à mesure qu'il suit le modèle factice du héros galvanisant les foules, lui-même ne s'épanouit pas dans ce rôle, se sait manipulé, doute, rechigne à servir les intérêts des journalistes.
C'est sa conscience qui le guide, incarnée par le Colonel, personnage hilarant et bienveillant à l'égard de John-Doe. C'est son seul ami, son compagnon de voyage, et parmi les journalistes et politiciens intéressés, il se fait aussi escorte bienveillante, protectrice à l'encontre de tous les « escogriffes ». Convaincu du mal qu'exerce la société de consommation sur les hommes, il la rejette complètement, et se révèle être un orateur hors pair lorsqu'il révèle en quelques minutes à deux pauvre benêts la raison pour laquelle il fuit la société et l'argent.
Et lorsque John-Doe se retrouve piégé, aux prises d'un politicien malintentionné, c'est parce qu'il est le représentant de la bonté humaine, de l'espoir d'une vie meilleure. C'est là ce que tous les avides politiciens cherchent à s'approprier ; et lorsque le film se clôt sur un happy ending habituel de Capra, il pâtit cependant d'une certaine langueur, d'un manque d'enthousiasme. Une nouvelle vie s'offre au héros, un quotidien heureux et simple, la joie de fonder une famille. Mais loin de voir cette perspective d'avenir comme un épanouissement, John-Doe, pas le moins du monde triomphant, semble au contraire apeuré, profondément meurtri par son incursion au sein de la société des hommes. Et sa marche vers son avenir se fait d'un pas lourd ; le héros pataud du début du film, pauvre et pouilleux mais heureux, semble aujourd'hui enchaîné – désormais son sort n'est plus entre ses mains. Les « escogriffes », comme le disait le Colonel, ont bien eu raison de sa liberté.