"L'homme de la rue" (1941) fait suite aux excellents et sociaux "Mr Smith au sénat" (1939) et "vous ne l'emporterez avec vous" (1938). Là, le propos dépasse l'aspect social pour atteindre une réflexion beaucoup plus politique.
Il est possible que le contexte de la guerre en Europe, de l'avènement de ces idéologies au départ populistes pour devenir fascistes aient influé Capra. Je ne le sais pas.
Toujours est-il que l'histoire démarre banalement par l'acquisition d'un journal par un financier DB Norton (Edward Arnold) et par la charrette de licenciements de l'équipe du journal pour faire bonne mesure. Avant de quitter le journal, une des journalistes, Ann Mitchell (Barbara Stanwick) lance un pavé dans la mare en inventant l'histoire d'un homme, John Doe (Gary Cooper), prêt à se suicider le jour de Noël. Rapidement, le canular se transforme en un mouvement citoyen d'ampleur que DB Norton va financer en ne perdant pas de vue l'occasion d'en tirer parti pour servir ses ambitions politiques.
Le début du film est d'autant plus surprenant pour l'amateur de Capra que je suis que les deux personnages (principaux) joués par Barbara Stanwick et Gary Cooper ont des aspects détestables. Barbara Stanwick joue le rôle d'une journaliste arriviste prête à (presque) tout pour de l'argent. Et lorsque l'affaire s'emballe, elle n'hésite pas à y contribuer toujours aussi cyniquement.
Et Gary Cooper, ancien joueur de base-ball tombé à la cloche, finit rapidement par se persuader que le canular a quand même du bon en matière de train de vie et finit par jouer le jeu au désespoir de son copain de misère (interprété par l'excellent Walter Brennan).
Et ce début de film est très intéressant pour montrer par quels rouages le populisme, sous couvert d'une action apolitique et généreuse, peut finir par s'imposer à une population, grâce à une information biaisée.
Ce n'est que dans la deuxième partie du film, lorsque DB Norton, le magnat industriel, abat ses cartes qu'apparait le Capra habituel avec un Gary Cooper comprenant la manipulation et les objectifs de DB Norton. Et Capra ne serait pas Capra si, enfin, Barbara Stanwick ne finissait pas par comprendre qu'elle porte une lourde responsabilité dans la manipulation avant de rejoindre solidairement Gary Cooper.
D'autres points sont intéressants dans le film comme l'absence de déontologie dans la presse qui n'hésite pas à jouer avec le sensationnalisme et la manipulation de l'opinion. Car même si les mouvements "John Doe" portent certaines valeurs humanistes comme l'entraide, l'empathie vis-à-vis de ses voisins, …, il n'empêche qu'ils sont bâtis sur le mensonge.
Et puis, ce n'est pas nouveau chez Capra, la versatilité de l'opinion, de la foule. Le héros, un jour adulé, le lendemain méprisé ou haï.
"L'homme de la rue" est un bon cru de Franck Capra qui démonte bien un fait qui reste, malheureusement, très actuel, à savoir le pouvoir important et peut-être bien abusif de la presse dans la société. La chose est d'autant plus grave si, derrière la presse, se profilent des forces occultes et manipulatrices qui peuvent en profiter pour s'imposer à partir d'une idéologie populiste.
Un petit regret, c'est la fin du film, juste un peu trop consensuelle … Une fin un peu plus dramatique n'aurait franchement pas nui …