Plus de 25 ans après le siège de Sarajevo, voici un film qui l'évoque sous à travers deux angles principaux. Malgré une unité de temps (une journée) concentrée et une toile de fond quelque peu surprenante : une sorte de session de groupe organisée par une espèce d'agence matrimoniale au cours de laquelle vont se rencontrer de possibles couples en devenir. Unité de lieu également, puisque celle-ci se déroule dans un centre de conférences et de réunions, dont les salles portent le nom de villes suisses, en forme de clin d’œil à la paix civile (dans un pays comportant quatre langues officielles) peut-être.
Le premier angle de vue est large, collectif pour ainsi dire. A travers la dizaine de couples présents, la réalisatrice nous offre un panorama de la société de Sarajevo dans toute sa diversité : jeunes et vieux; musulmans, catholiques et orthodoxes; génération qui n'a pas connu la guerre et nostalgiques de Tito. Leurs échanges, que ce soit à travers les questionnaires débiles auxquels ils sont soumis, au cours du repas pris en commun ou enfin lors d'animations non moins débiles organisées l'après-midi sont riches d'information sur le tissu social de ce qu'est, et sans doute aussi de ce qu'était, Sarajevo et probablement également l'ensemble de la Yougoslavie. La guerre passée surgit parfois au détour d'une évocation ou d'un souvenir. Mais la profonde débilité de la session matrimoniale et le rythme des exercices imposés aux participants coupent court à toute lourdeur et empêchent le pathos de s'installer dans la narration.
Pour autant, le second angle de vue est bien plus émotionnel, puisque individuel. Là, l'action se centre sur deux personnages, une victime (Ajsà) et son agresseur (Zoran), dont la confrontation va faire complétement déraper la session de rencontres amoureuses en dépit des efforts tragi-comiques de l'équipe d'animation. La sobriété et la maitrise de la réalisatrice permettent toutefois d'éviter un déferlement de pathos; on imagine sans mal ce que Hollywood aurait fait d'un tel sujet. Rien de tel ici, plutôt une sorte de grâce intangible mais sincère qui nait d'un méli-mélo de colère, de culpabilité et finalement de pardon. C'est simple et c'est beau et en plus ça évite la tarte à la crème de la résilience.
Un pari réussi, finalement, ce film : celui d'évoquer à partir d'un pitch improbable, une guerre civile et les dégâts qu'elle provoque, pendant qu'elle a lieu mais aussi encore longtemps après qu'elle soit terminée.