Suffisamment rares sont les films nous parvenant des Balkans pour mériter notre attention. Déjà remarquée en 2019 pour « Dieu existe, son nom est Petrunya », la volcanique Teona Strugar Mitevska, née le 14 mars 1974, à Skopje, en Macédoine, s’empare ici d’un sujet explosif : les traumatismes de guerre, encore à vif dans les populations civiles ou redevenues telles, après avoir manipulé les armes.
Faisant équipe pour la troisième fois au scénario avec Elma Tataragić, la réalisatrice macédonienne s’inspire d’une histoire vécue par sa collaboratrice pour adopter une approche en apparence anecdotique, presque légère : dans le Sarajevo contemporain, un speed-dating mettra en présence une femme, Asja (Jelena Kordić Kuret), et un homme, Zoran (Adnan Omerović), Serbe qui reconnaît avoir pris les armes, durant la guerre de Bosnie, et tiré sur sa propre ville…
Le goût taquin de la réalisatrice pour les fausses pistes sera toutefois apparu dès la scène d’ouverture qui, sous la couverture du titre claironnant « L’Homme le plus heureux du monde », s’attache aux pas d’un homme se penchant dangereusement sur le vide ; pulsion suicidaire qui sera ensuite avouée sans fard par Zoran, lors des questions du speed-dating.
Car, autre attente déjouée, le speed-dating, que l’on craignait de découvrir désolant de superficialité et de poses trompeuses, ne tarde pas, par son questionnement et les dispositifs mis en place, à plonger sous le derme et à explorer les profondeurs, jusqu’à, même, dans une perte totale de contrôle, faire jaillir les laves les mieux enfouies et les anciennes haines dévastatrices.
Devant le climat créé, on songe irrésistiblement, bien que sur une trame scénaristique tout autre, au saisissant « Baril de poudre » (1999), du regretté Goran Paskaljević (22 avril 1947, Belgrade - 25 septembre 2020, Paris). Toutefois Teona Strugar Mitevska se plaît à concocter ses grenades cinématographiques en famille, puisqu’elle s’entoure de sa sœur cadette, Labina Mitevska, en tant que productrice et actrice incarnant l’une des deux animatrices du speed-dating, Marta, et de son frère, Vuk Mitevski, aux décors.
Mais, libre et imprévisible jusqu’au bout des ongles et de ses longs cheveux noirs, il n’est pas dit que son titre doive toujours être reçu comme antiphrastique après vision complète de l’œuvre. Suite aux plus belles étreintes cinématographiques qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps, peut-être sonne-t-il comme l’aveu le plus secret…
Présente à la projection, Teona Strugar Mitevska annonce envisager de consacrer sa prochaine réalisation à la jeunesse de Mère Teresa, native de la même ville qu’elle. On l’a dit, la dame aime surprendre…