L'homme que j'ai tué, c'est selon nous une magnifique mise en scène au service de l'art poétique d'un Lubitsch créateur d'images (au sens linguistique du terme) hautement significatives, sciemment placées aux moments-clés, traduisant les évolutions du récit et des personnages.
Ainsi, l'introduction, nous présentant le contexte post-première guerre mondiale où chaque camp considère encore l'autre comme son ennemi, se place sous le sceau du paradoxe, de l'opposition (à l'instar des rapports entre Allemands et Français): discours du prêtre sur la paix et plan en travelling arrière sur les épées des soldats et autres armes; panneau de l’hôpital exigeant le silence et cris des canons; célébration de l'armistice, donc fin de la guerre et défilé militaire et canons; le tableau de la Pietà qui a pardonné et le remords de Paul Renard, le calme du curé à la soutane blanche et la grande inquiétude du pécheur en costume noir, … .
Puis, si l'avalanche esthétique du début perd de sa verve pour rejoindre volontairement la calme mise en scène d'un mélodrame, Lubitsch ne perd pour autant pas de vue son propos. En effet, du paradoxe il passe à la comparaison, illustrée vers le milieu du film par un très beau plan dans le cabinet du Dr Hoderlin où au 1er plan apparaît la photo du soldat tué (fils du Dr) tandis qu'en arrière-plan surgit le visage de Paul Renard, plan qui renvoie au fondu-enchaîné du début où au regard de Paul succède celui de Walter, soldat allemand qu'il vient de tuer, dans une scène poignante, remarquablement jouée magnifié par cet ingénieux enchaînement.
Enfin, dans la scène finale, dans son élan pacifique voulant inviter les peuples à fraterniser, Lubitsch réunit dans une même composition sonore Allemands et Français, plus précisément Paul et la fiancée du défunt Walter, et parvient ainsi à clore par une métaphore sonore et visuelle l'idée d'harmonie entre les peuples qu'il défend.