Tout le scénario de l’Homme qui rétrécit pourrait être dans le titre, tout semble dit, et pourtant le film de Jack Arnold et Richard Matheson se révèle bien plus fin que prévu.
Cet homme qui va rétrécir, c’est Scott Carey, interpreté par Grant Williams au regard mystérieux. Il coule des jours heureux avec sa femme quand un mystérieux nuage enveloppe. Les effets ne seront pas immédiats, mais progressivement ses habits ne lui vont plus, sa taille rétrécit. Il n’y a bientôt plus de doute possible.
De ce “grand” Scott Carey, on ne saura finalement que peu d’éléments, on devine une personnalité légèrement malicieuse, une grande complicité avec sa femme et un métier de publicitaire. On peut le supposer bien établi. Il représente l’Américain moyen, classique.
Ce qui lui arrive est vite communiqué au monde extérieur, la presse est aux fenêtres. Il devient amer, dur avec sa femme. Son problème n’est pas seulement d’ordre physique, il est psychologique et peut-même sociétal. Il n’est plus un homme, selon lui. Et le monde entier le sait.
Une bonne partie du film se déroule donc la difficile découverte de son nouveau statut. La science est impuissante, sa femme est présente mais n’arrive pas à atténuer l’aigreur de son mari et peut-être même l’accentue, c’est elle qui doit le materner, elle qui devient l’autorité de la maison. Différentes thématiques émargent alors, sans que le film ne se penche trop dessus, comme celle de la place domestique de chacun ou même du cirque et de ses “monstres”. Il est laissé le soin au spectateur de réfléchir à certaines, à leur utilité, le film étant parfois assez discret, malgré le temps pris pour les présenter.
Arrive alors le tournant du film, quand le petit Scott est cru mort, alors qu’il s’est retrouvé coincé dans la cave. Précédemment, il devait faire avec une civilisation devenue trop grande pour lui, où la petite table du canapé devenait pour lui un bureau. Les meubles pouvaient encore lui être utiles, bien qu’il apparaissait alors mal adapté à ce nouveau cadre. La fin d’une époque semblait arriver, avec son installation dans une maison de poupées.
Dans la cave, seul et sans ressources, il doit apprendre à survivre. Il lui faut se nourrir et trouver un toit, mais le lieu n’est guère accueillant. Il n’a pas été prévu pour une telle situation. Une épingle sera une épée, une marche sera une montagne à escalader, tout est différent. Il doit apprendre à faire preuve d’ingéniosité. L’aventure qui s’y trouve, avec ses nombreuses menaces, est avant tout une quête pour sa survie.
La voix off qui ponctuait le film des états d’âmes de Scott, amer et désespéré, se révélait parfois envahissante par sa solennité appuyée. Et pourtant elle ne faisait qu’amener vers une conclusion surprenante pour l’habitué de ce genre de films de science-fiction. Les dernières paroles seront philosophiques et peut-être même métaphysiques.
L’Homme qui rétrécit n’est donc pas ce film de série B naïf ou ce film d’aventures un peu innocent qu’on pourrait attendre. Sous ses allures de divertissement, il cache d’autres strates de réflexion dont beaucoup sont laissées à l’appréciation du spectateur. Le film adapte une nouvelle du célèbre Richard Matheson, à qui on doit plusieurs œuvres dont Je suis une légende, c’est lui-même qui se charge du scénario du film, ce qui explique peut-être qu’il ne souhaite pas prendre l’intelligence du public comme limitée (même si Universal rejettera certaines de ses idées). Un homme qui rétrécit, ce n’est donc rien d’anodin, et le cadre du film, quasiment enfermé dans cette petite maison, dans ce foyer familial, en dit peut-être beaucoup sur cette société américaine sure d’elle même.
Les moyens sont tout de même présents pour le spectacle, et il faut bien reconnaitre au film que malgré son grand âge et son noir et blanc, il en démontre à bien d’autres productions. Quelques trucages vidéo accusent leur âge, et notamment certaines incrustations. Mais en faisant le pari de reconstituer des décors à l’échelle d’un petit homme, le film donne parfois le vertige, tant l’accessoire se confond avec le réel. Les petits détails sont partout, les aspérités d’un mur de ciment sont autant de crevasses, une paire de ciseau semble fondue dans le métal, une goutte pourrait assommer un homme. Il y a un soin stupéfiant dans l’attention faite à ce changement d’échelle, le plus souvent bluffant.
L’Homme qui rétrécit est donc une petite pépite de la science-fiction au cinéma de ces années là, bien loin de la naïveté des petits camarades. Jack Arnold avait déjà prouvé que le genre pouvait proposer bien mieux, avec Richard Matheson il le démontre encore dans une incroyable aventure autant périlleuse qu’humaine qui semble préfigurer la série La Quatrième Dimension.