Il y a quelque chose d’un peu frustrant pour le grand admirateur de western en général et de Ford en particulier que je suis à s’obstiner à ne pas reconnaître à L’Homme qui tua Liberty Valance la place que la plupart semble lui donner sans hésitation, c’est-à-dire tout en haut…
Pour ma part, j’ai surtout remarqué que c’était le western de Ford préféré de ceux qui n’aimaient véritablement ni Ford, ni les westerns, une explication est peut-être à chercher là-dessous, je ne peux m’empêcher de mettre ce film largement en-dessous des chefs-d’œuvre du maître, je préfère même sans hésitation un mal aimé comme la Charge Héroïque, tant les scènes profondément humaines entre Victor MacLaglen et le vieux capitaine me bouleversent au-delà de la raison et me manquent terriblement ici…
C’est une sorte de western testament, l’avant-dernier avant Les Cheyennes, largement moins parfait mais aussi plus émouvant, il faut dire que la perfection froide et calculée me touche infiniment moins que la mélancolie cruelle des civilisations massacrées.
Il y a tout l’Ouest dans ce film, c’est l’histoire de James Stewart, un jeune avocat qui suit à la lettre les préceptes d’Horace Greeley et file au-delà du Pecos là où la loi ne dicte plus le droit… Il s’y confronte aux deux individualités fortes des petites villes sauvages qui fonctionnent sur le même principe du revolver, le bon John Wayne et le mauvais Lee Marvin, et lui au milieu ne trouve guère qu’un vieux livre de droit, un tablier de plongeur et les éditoriaux d’un journaliste alcoolique pour se défendre, pas sûr que ça suffise…
Pendant ce temps là, la démocratie essaye de faire ses premiers pas, la démocratie pour les nuls et les analphabètes, gros plan sur le tableau noir… de la démocratie sans réelle concurrence d'ailleurs, tout le monde est bien gentiment sur la même ligne en dehors du grand méchant loup qui a un peu de mal sous les traits d'un Marvin qu'on a connu plus gaillard à porter sur ses seules épaules un nom et un titre pareil (et non, Lee Van Cleef en sbire de huitième zone, ça ne compte pas vraiment pour quelque chose). Il n'y a pas de lice, hélas, c'est là qu'est l'os et le brave Carradine n'y changera rien, le débat de l'entrée dans l'Union ne se posera jamais vraiment, il eut fallu qu'un homme droit propose un petit doute, un regret sur la perte de liberté pour la civilisation, quelque chose que Wayne aurait pu tenir en lieu et place de son gentillet individualisme de façade...
La légende de l’Ouest est le sujet du film jusqu’à sa conclusion finale ultra-célèbre, c’est peut-être ça le problème, un film est plus fort quand il n’a pas besoin d’asséner son propos à coups de burin, souviens-toi, vieux borgne, quand tu as un message à faire passer tu disais préférer utiliser la Poste et tu avais bougrement raison…
Alors oui, c’est un film tout de même passionnant mais que le didactisme du projet écrase trop pour être la merveille que d’autres y voient, d’où ma sévérité finalement toute relative, comment rester insensibles à la jonglerie des steaks géants dans l’arrière-salle d’une jolie gargote, à l’abatage sans accrocs d’un casting qui ressort toutes les plus belles trognes des anciens westerns, tous ceux à qui, un jour, Ford a donné un rôle privilégié, variant ainsi à l’infini les thématiques et les histoires dans son œuvre… Quelle bonheur de retrouver Vera Miles, John Qualen, John Carradine, Woody Strode et la voix miraculeuse d’Andy Devine…
Mais quelque part, c’est très rare et assez beau d’aimer tellement certaines œuvres et certains cinéastes qu’on en vient à se sentir déçu avec un film qui ne vole pourtant à aucun moment la note que je lui donne, ça ne peut arriver que chez les deux ou trois plus grands, autant dire que vous avez tout de même l’obligation de vous jeter au plus vite sur ce film si ce n’est pas déjà fait…