Vers la fin du 19e Siècle,Ransom Stoddard,avocat idéaliste,débarque dans une petite ville de l'Ouest pour s'y installer et y imposer le droit et la démocratie américains.Mais les moeurs en vigueur dans le patelin sont plutôt rudes et très différentes de celles de Washington,ce qu'il va apprendre à ses dépens en se heurtant à Liberty Valance,un bandit cruel qui fait la loi dans la région,d'autant qu'il est le bras armé des puissants éleveurs qui veulent que le coin reste un territoire sauvage où leur bétail pourra continuer à gambader,et non un Etat où les petits fermiers auraient voix au chapitre.Stoddard ne pèserait pas lourd face à Valance mais il va être aidé et protégé par Tom Doniphon,le seul habitant de la bourgade à ne pas craindre le hors-la-loi.Ce film est une des dernières oeuvres du grand John Ford mais,en dépit de sa solide réputation,c'est loin d'être ce qu'il a fait de mieux.Sur le fond,le scénario de James Warner Bellah et Willis Goldbeck,le producteur de ce western,qui adaptent une nouvelle de Dorothy M. Johnson,déroule une intéressante réflexion sur la fin d'un monde,celui de l'Ouest,le vrai,le Far West sauvage,condamné et dépassé par la nouvelle donne politique et le progrès technique,principalement l'arrivée du chemin de fer qui va bouleverser la donne et modifier en profondeur la structure sociale du pays.Le règne de la violence individuelle prend fin pour faire place à l'autorité fédérale et les hommes comme Valance sont dépassés et condamnés à disparaître,au profit d'ailleurs d'autres qui ne valent pas mieux puisque les gangsters succèderont aux pistoleros.Quant aux éleveurs,leur leadership va s'effacer pour laisser les exploitants agricoles s'épanouir avant d'être eux-mêmes victimes de l'ère industrielle qui adviendra ensuite.Les personnages sont en ce sens manichéens,Stoddard représentant l'inévitable progrès fédéraliste dont Valance constitue le repoussoir absolu,le vestige d'un univers violent et soumis à la loi du plus fort.Le protagoniste le plus intéressant est donc Doniphon,qui se situe à mi-chemin des deux autres.Il prendra clairement parti pour Ransom,car Tom est un type bien et que sans doute il pressent que l'avenir appartient à ce genre d'hommes.De toute manière il déteste Liberty,comme tout un chacun,mais il reste une étrange estime mutuelle entre les deux gaillards,due à leur appartenance au même monde.Doniphon est un mec viril qui n'a pas peur de recourir à l'affrontement,bien qu'il préfère l'éviter,et en cela il est plus proche d'un Valance qui par ailleurs éprouve un certain respect pour ce fermier qui est le seul à lui tenir tête,au contraire de tous les lâches qui s'aplatissent devant lui.Mais Tom devine que ce monde est condamné,ce que la venue de Ransom l'oblige à acter.D'autre part l'avocat va chambouler sa vie sur un autre point,à savoir l'aspect sentimental.En effet Doniphon est amoureux d'Alice,la jolie fille des Ericson,qui tiennent l'auberge locale,mais la nana s'éprend vite de Stoddard,ce gandin cultivé si différent des rustres qu'elle est contrainte de côtoyer habituellement,et Tom fera preuve d'une grandeur d'âme fantastique lorsqu'il devra protéger son rival en amour et en plus lui abandonner Alice.Un parallèle est également à établir avec la fin du western traditionnel dont Ford fut le principal artisan et qui était un genre moribond à l'époque,juste avant que les italiens ne prennent la relève,Sergio Leone sortant "Pour une poignée de dollars" en 64.On le voit,cette histoire est riche de potentialités,alors pourquoi est-ce plus ou moins raté?A cause de la forme en fait,Ford se montrant peu inspiré sur ce coup.Certes la photo de William H. Clothier impose un noir et blanc de toute beauté mais la mise en scène manque d'ampleur.Il y a peu de décors,et ils sont étriqués,les scènes d'action sont rares et pas vraiment emballantes,et surtout l'ensemble baigne dans la niaiserie moraliste et les personnages excessifs.Il ne se passe pas grand-chose,les scènes sont trop longues,les dialogues sont verbeux et font la retape pour la grande démocratie américaine tandis que la truculence des échanges et les déplacements des personnages dans l'espace tiennent plus du numéro comique loupé que de la rigueur généralement associée au cinéma fordien.Bref c'est assez décevant,avec des protagonistes caricaturaux comme le shérif trop gros,trop lâche,trop pique-assiette,le couple de restaurateurs scandinaves trop sympas et si fiers d'intégrer la si parfaite communauté ricaine,leur fille trop jolie blonde trop gentille qui joue un jeu pourtant pas très clair entre ses deux prétendants,le journaliste et le toubib trop alcoolos pour être vrais et des tueurs trop attentistes pour être crédibles.Si on ajoute à ça un twist gros comme un ranch qui ne trompe personne,ça fait un peu beaucoup pour un soi-disant chef-d'oeuvre.Le superbe casting limite pas mal les dégâts,notamment un John Wayne impérial en dur à cuire au coeur tendre qui domine la situation.James Stewart en grand couillon idéaliste et inflexible,et Lee Marvin en salopard sadique sont parfaits dans leurs registres coutumiers.Vera Miles,qui fut deux ans plus tôt l'héroïne du "Psychose" d'Hitchcock,s'en tire honorablement en belle fille de service,et parmi les seconds couteaux on peut apprécier Edmond O'Brien en journaliste plus courageux qu'il n'en a l'air,Woody Strode en employé noir de Doniphon,John Carradine en supporter des éleveurs très éloquent,plus Strother Martin et Lee Van Cleef en sbires patibulaires.Ce dernier tourne là son avant-dernier western américain avant son départ pour l'Italie et le spaghetti.Il sera trois ans après dans "Et pour quelques dollars de plus" de Leone.