Bienvenue chez John Ford : histoire simple, personnages principaux complexes, enjeux multiples, réflexions riches sur l’histoire des États-Unis et sur l’être humain, personnages secondaires truculents, dose d’humour, pincée d’émotion et efficacité totale dans la réalisation. L’Homme qui tua Liberty Valance n’échappe pas à toutes ces qualités. Mieux que cela, il en est le symbole. Porté par un casting éblouissant où chaque acteur incarne ce qu’il a toujours plus ou moins incarné dans les westerns, il permet d’interroger avec amertume, lucidité et intelligence l’histoire des États-Unis et des westerns où la légende a toujours primé sur la réalité.
Une vieille habitude qui crée forcément les malentendus, les mensonges et les supercheries, lesquelles bercent d’illusions un peuple tout entier. Et John Ford qui a largement contribué à faire l’histoire du western de dire aux spectateurs qu’il leur a peut-être parfois menti, parce qu’il avait placé sa caméra à cet endroit-là plutôt qu’à cet autre. Il leur a menti pour raconter des histoires plus belles, plus fortes, plus pertinentes. James Stewart, qui incarne ici l’homme de loi, l’homme juste, l’homme de la justice, aura gagné ses galons sur une imposture. Grâce à elle, il aura trouvé l’amour, aura participé à l’histoire des États-Unis, à l’entrée dans la civilisation de l’Ouest. John Wayne, l’homme de colt, devra être oublié. C’est le prix de la civilisation. Et la terrible morale aussi de cette histoire où John Ford n’aura jamais, sans vraiment tout à fait la montrer, aussi bien mis en scène la démythification du plus grand des cowboys, lequel montre ici que sa palette d’acteur était bien plus large qu’on pouvait le dire.
Parfaitement mis en image (le noir et blanc est sublime), souvent tourné de nuit, volontairement loin des grands espaces, principalement en studio pour souligner l'artifice cinématographique, présenté comme un western des années 1940 par bien des aspects, L’Homme qui tua Liberty Valance est peut-être le premier véritable western crépusculaire. S’il n’en a pas la violence physique (il y a d’ailleurs très peu d’action), son discours est d’une virulence terrible. Il signe la fin de cette Amérique idéalisée à travers son cinéma. Un grand John Ford. Plus simplement, un grand film.