La dame du lac est une sadique.
Hee-Jin est une souillon en jupe et claquettes qui vit au bord d'un lac. Elle gère des radeaux de pêche ancrés dans le lac, amène les clients en barque, et leur apporte éventuellement du ravitaillement. Elle se prostitue, de temps en temps. Un jeune type arrive, il cache un révolver. Pour évacuer ses angoisses, il loue les services de deux prostituées, dont Hee-Jin est vite jalouse. Meurtre, bonheur dans le crime, fuite en avant, et épilogue esthétique mais peu probant où l'on voit le cadavre de la jeune femme entièrement nu, flottant à mi-corps dans sa barque en train de couler.
Alors oui, les paysages sont superbes, avec ces petites cabanes flottantes émergeant du brouillard matinal, cette caméra souvent penchée à 30 ° vers l'eau miroitante, cette esthétique du petit. Le mutisme des personnages, qui jouent à "celui-qui-dit-plus-de-cinq-mots-a-perdu, combiné à l'absence de musique, recentre sur les bruits naturels : clapotis, bruit de moteur plus ou moins loin, conversations distantes (au ras de l'eau, le bruit circule loin).
Et puis je ne sais pas si ça relève du shintoïsme ou d'autre chose, mais l'eau est exploitée dans toutes ses dimensions : nourricière, dissimulatrice, menaçante, apaisante, etc... Elle est là d'où tout sort et où tout revient : excrétions tombant dans le lac par la trappe dans le sol des petites cabanes, poissons que l'on pêche pour y prélever sa part de sushi puis que l'on relâche encore vivant, cadavres bien sûr, mais aussi scooter encombrant, Rolex et autres... On joue avec les éléments, on en explore toutes les possibilités. ça c'est intéressant.
Il y a aussi ces moments fantastiques déroutants, où Hee-Jin surgit par la trappe des toilettes, ou émerge du lac à l'endroit où quelqu'un vient de se noyer, ou se promène en barque dans le noir, etc. Et puis ce parallèle sexe-poisson qui semble récurrent dans l'imaginaire coréen (voir "Oncle Boonmee").
J'aime les films contemplatifs, mais j'aime aussi qu'il y ait quelque chose derrière. Or ici Kim Ki-Duk (c'est le premier film que je vois de lui) mélange un peu toutes les idées qui lui passent par la tête. Les motivations des personnages, torturés sans que leur angoisse trouve jamais une véritable explicitation, sont trop faibles. Ils semblent davantage agir comme des éléments du décor que comme des êtres influencés par lui.
Sinon je n'ai pas "accroché" (pardon) les délires avec les hameçons. J'aime bien les idées loufoques, donc pourquoi pas s'enfoncer des hameçons dans la bouche/la main/un sexe féminin. Mais pourquoi insister sur la souffrance physique et étirer ces moments, comme le ferait un Tarantino, si ce n'est pour faire rentrer dans leur siège tous les spectateurs non-teenagers ?
Bref, je n'ai pas été convaincu par le mélange, et si certaines séquences ou images sont envoûtantes et très intéressantes, j'ai bien peur de ne pas être convaincu par la somme des parties.