Wes Anderson est sans doute l'un des derniers cinéastes à propos duquel on peut encore parler d'univers qui ne ressemble à aucun autre. Un univers fait de candeur, de délicatesse et de poésie. Et d'une certaine gravité. Jamais frontale, jamais assénée, dans un mélange qui donne un goût tout particulier à son cinéma.
Behind avait fait connaissance avec le bonhomme en salle, avec Fantastic Mr Fox, dont L'Île aux Chiens apparaît comme un véritable prolongement, un retournement.
Wes est bel et bien là, alors même qu'il se délocalise dans un Japon dystopique aux traditions fort marquées, aux hommages constants, entre Hokusai et Kurosawa, dans une ambiance qui n'est pas sans rappeler les années 50/60, dans un sentiment rétro étrange et savoureux à la fois. Cela donne quelque chose que l'on pourrait qualifier d'extravagant. Mais dans l'univers marqué de Wes Anderson, on ne s'étonne plus de rien, après tout. Car on se dit que c'est bien lui, qu'on ne l'a pas perdu. Même quand il exécute le chemin inverse de Fantastic Mr Fox qui parlait, dans mes souvenirs, de l'animalité. L'Île aux Chiens en est le théâtre, celui de canins exilés, déportés, qui, avec l'arrivé d'Atari, vont renouer avec leur vie d'avant.
Groupe ausculté, relations d'amitié renouvelée, L'Île aux Chiens questionne le rapport familial, l'amitié, l'amour et le don de soi dans une vérité et une simplicité de tous les instants, démultipliée dans des ruptures de ton constantes, doublée d'un fond politique léger, aux accents de totalitarisme, dont la thématique rejoint celle que l'on pouvait trouver dans un White God déjà puissant et concerné.
L'image, elle, est superbe, tant les jeux de couleurs, dans les textures convoquées ou encore les compositions osées sont légions. La richesse est totale et l'oeil ravi, inquiet de ne pas cligner de peur de rater quelque chose à l'écran. Magnifié par l'animation image par image et sa facture si particulière, ou encore le rendu quasi artisanal de certains effets, L'Île aux Chiens est un véritable festin visuel, qui se paie le luxe, question charme, de battre des sommets déployés par des films comme Ready Player One, ce qui n'est pas un mince exploit.
En VO, le casting apporte enfin ce supplément d'âme qui fait toute la différence : Edward Norton, Bill Murray ou encore Scarlett Johansson, ainsi que tous les autres, font éprouver une véritable tendresse, un attachement immédiat à ce groupe de parias, tandis que les jeux de langue, entre anglais ou japonais partiellement traduit, achèvent de convaincre des risques pris, de la véracité de l'univers construit par Wes Anderson, tout comme il donne un impact supplémentaire aux sentiments d'Atari, le temps de gros plans sur son visage rond, pas encore sorti de l'enfance.
C'est la dessus que L'Île aux Chiens, s'il en était encore besoin, conquiert totalement, dans une poésie désarmante, dans une jolie simplicité et une candeur à nulle autre pareille. Le souffle de vie et la mélancolie terrassent. Le délicat et constant. Wes a tout bon, si ce n'est cette fin un peu rushée et légèrement facile dans la prise de conscience de certains de ses personnages, alors que jusqu'ici, le rythme millimétrée, soutenu par la formidable musique kabuki d'Alexandre Desplat, et la maîtrise garantissaient le chef d'oeuvre absolu.
Sans ces deux infimes difficultés, sûr que Wes aurait été tout seul sur son île, tout en haut de nombreux tops 2018...
Behind_the_Mask, royal canin.