Une petite merveille ! Sous couvert d'une histoire en apparence assez simple (un gamin part à la recherche de son chien, déporté comme tous ses congénères sur une île de déchets), c'est en réalité un foisonnement de complexité, aussi bien sur la forme que le fond.
Sur la forme, c'est hallucinant de maîtrise : on retrouve le soin apporté à chaque image, l'importance des gros plans, des plans "en 2D", la composition des couleurs, le tout sublimé par une direction artistique étrange, à la fois belle et... hideuse. Les chiens malades, sales, les détritus partout, même le gamin avec sa dent manquante ; il y a une belle hideur permanente, qui participe au décalage global dans lequel s'inscrit le film. L'atmosphère habituelle des films de Wes Anderson est bien là, poétique et décalée, matérialisée par l'animation elle-même, à base de marionnettes en stop motion (comme pour le Fantastique M. Fox), mais également parsemée de séquences en animation plus classique, façon dessin animé.
Sur le fond, c'est encore plus intéressant. Le film est plein de subtilités, de détails qui s'accumulent et rendent à vrai dire l'interprétation pas toujours évidente ; L'île aux chiens est complexe dans son aspect politique (marqué), qui s'attaque avant tout aux nationalismes populistes, qui manipulent l'opinion et stigmatisent des populations. Les chiens sont déportés dans des dépotoirs, considérés comme des ordures plus que comme des êtres vivants ; le films les montre au contraire intelligents et sensibles. La critique s'étend-elle aux démocraties modernes (qui subissent de plein fouet les montées extrémistes) ? Le dirigeant de la ville de Megasaki est en pleine campagne électorale, et se trouve opposé au ridicule parti de la Science (qui concentre quelques 2% des voix) ; il manipule le peuple en jouant sur la peur ; les chiens même de l'île s'adonnent régulièrement à des votes d’apparat, qui voient systématiquement la même minorité laissée de côté... Le discours n'est ni évident, ni convenu. On retrouve de plus à plusieurs moment le thème des rumeurs et fake news, ou l'importance des vecteurs de communication qui font du chien capable de comprendre la télévision un véritable Oracle... C'est véritablement dense, jamais anodin mais toujours fait avec simplicité, avec la patte de Wes Anderson. Et c'est toujours pertinent. On ressort en se disant qu'un second visionnage ne serait pas forcément superflu.
Bon, il y a malheureusement quelques défauts un peu gênants tout de même. La représentation des femelles canines, par exemple, assez bizarre : il n'y a que deux chiennes qui apparaissent à l'image, et elles sont très stéréotypées, ce qui est assez curieux en 2018. De la même manière, avoir placé l'action au Japon permet pas mal de procédés narratifs intéressants (tous les jeux de traduction notamment - même si du coup le film perd beaucoup d'intérêt pour le public japonais ^^) mais met parfois un peu mal à l'aise, surtout lorsqu'on nous présente la meneuse activiste qui lutte contre le pouvoir en place, campée par une étudiante étrangère... américaine. Peut-être pour symboliser l'entraide et la fraternité, si on fait un petit effort complaisant...
Bref, malgré ces quelques points négatifs, l'ensemble est bluffant, foisonne d'idées graphiques et narratives, d'une créativité qui se renouvelle à chaque instant. Impressionnant.