Du pouce préhenseur à la liberté en passant par la sauce tomate.
En déversant un flot continu d'informations à l'intérêt variable pour le sujet à la manière des infomerciaux des années 80, L'Ile aux Fleurs est une parabole de la société de consommation. Il décrit des mécanismes parfaitement intégrés comme normaux dans l'esprit occidental de la fin du XXe siècle (ou du début du XXIe) en les explicitant à l'extrême sans jamais mettre en doute leur légitimité, laissant ce soin au spectateur.
Le fil conducteur du court récit de 12 minutes à peine est le circuit d'une tomate brésilienne, depuis sa plantation jusqu'à la déchetterie en passant par le supermarché, le sac de courses d'une consommatrice et sa poubelle. De digressions en digressions, on y apprend ce qui distingue les êtres humains des animaux, les circonstances de l'invention du commerce et de la monnaie, et autres réponses de Trivial Pursuit à première vue inutiles mais qui composent, en infime ou en grande partie, les rouages de notre civilisation.
Le film clôt sur le flou fondamental qui entoure la distinction entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, et sur l'absence de définition du mot Liberté. Réalisé en 1989, il est ancré dans les réflexions de son époque : touchant à la fin de cette décennie qui aura vu une explosion sans précédent du néolibéralisme dans le monde occidental et l'annonce de la chute du bloc soviétique, les Hommes commencent à s'apercevoir de l'absence de résultats quant aux promesses de niveau de vie du dogme Von Hayek. Personne ne peut plus ignorer les écarts entre les classes qui se creusent, mais comme aujourd'hui (si ce n'est pire), une majorité de la population occidentale se satisfait du cycle travail-salaire-conso-crédit sans s'être encore penché sur les rouages du système qui le permet.
L'Ile aux Fleurs est un de ces films qui ont commencé le travail en avance, s'appuyant sur un humour pince-sans-rire et cynique qui va si bien à notre époque pour ouvrir des premières portes de réflexion accessibles hors des instituts économiques sur les nouveaux piliers de notre société. A mes yeux le plus choquant n'est pas le contenu du film, ni même cet humour noir que des bien-pensants pourraient considérer déplacé : c'est bien le fait qu'en 2010, il ne choque plus, et paraît presque naïf. Nous sommes aujourd'hui parfaitement au courant de ce que l'Ile aux Fleurs avait pour but de faire découvrir, et l'avons accepté comme un état de fait, de paradigme.
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