Entre quatre planches d'une boîte de nuit

Cette critique s'appuie dès le début sur la fin du film.


Al Pacino aura fait les beaux jours de la carrière de Brian de Palma en incarnant le rôle principal de ce qui fut une pierre angulaire de leurs deux carrières : l'intense Scarface, fable ultra-violente sur le désastre des hommes de peu qui tentent de devenir des sommités des milieux de rien. Il décide donc, vingt ans plus tard, de remettre le couvert en épousant complètement, cette fois, l'esthétisme des films noirs qu'il revisite avec brio.


S'il s'ouvre sur la mort de son héro, Carlito Brigante, c'est pour respecter les codes de son genre, codes qu'il transgresse par le modernisme de sa mise en scène, par cette caméra céleste qui filme la scène en créant un écho surréaliste entre son corps inerte vu par les vivants, et son être entier qui bouge en suivant le fil de ses pensées. Directement, De Palma informe le public qu'il s'affranchit des règles de la physique et que son oeuvre, racontée des yeux d'un mort, n'aura pas pour but d'être réaliste.


Cela pose cependant un problème : le parti-pris esthétique marque, dès l'entrée dans les derniers jours de sa vie, par son réalisme profond : le réalisateur filme la ville comme elle existe la nuit, créature cruelle et mangeuse d'hommes, sans approcher les écarts rêvés de Taxi Driver ou les événements romancés de Joker. La place est taillée pour le véridique, l'authentique : comment expliquer alors des problèmes de cohérence dans l'écriture, qui touchent surtout cette fin qu'on connaît dès le départ, où Pacino se fait descendre par un excellent Leguizamo qui s'enfuit sans qu'aucun des flics présents n'ait l'idée de l'arrêter.


C'est souvent cela qui gâche le déroulé des films de mafieux de De Palma : la vraisemblance, les comportements logiques transgressés afin de faire avancer l'intrigue; un peu comme Pacino qui prend toujours les mauvaises décisions, au point qu'on se demande finalement si ce n'est pas lui, aussi, qui aura cherché sa propre mort. D'un autre côté, c'est peut-être aussi ce qui fait tout l'intérêt du film : L'Impasse aurait été tracée par son celui qui s'y enferma : jolie leçon de vie dessinée par un De Palma très inspiré, mais à laquelle je n'ai pas été sensible.


Je n'aurai rien à redire sur l'art du réalisateur : il a, de toute évidence, la position du maître qui donne un cours de cinéma aux jeunes générations, que ce soit au niveau de ses cadrages, des déplacements de la caméra, des jeux de son, de lumière, du montage, de la photographie; tout ce qui concerne la la forme y est sublime, et porte une écriture peut-être un poil trop classique jusqu'à des sommets de tension et d'esthétisme.


Rien qu'à le voir filmer l'univers des boîtes de nuit, cela donnerait des leçons à nombre de réalisateurs épileptiques des années 2000 à nos jours, et aura très surement inspiré le virtuose James Gray pour son magnifique La nuit nous appartient. Esthétiquement, c'est une claque : il n'y a pas à chier là dessus, c'est irréprochable et De Palma prouve que son cinéma a maturé sur les vingts ans, qu'il a gagné en finesse, en pureté, en poésie.


Ce que je lui reproche principalement, c'est d'être trop attendu : si l'on sait dès le départ qu'il mourra, on comprend très vite par le biais de quel personnage surviendra l'inévitable; trop peu fin quand il s'agît de placer ses antagonistes, L'Impasse appuie bien que Leguizamo reviendra plus tard, et l'on sait tous pourquoi; le révéler à la fin comme en twist rajoute du lourdeau à ce que De Palma aurait pu tourner comme une sorte de destinée, comme ce qu'est justement cette fin : l'inévitable conséquence d'une vie de malhonnêteté.


Cette ironie de l'homme qui cherche à se ranger mais n'y parvient jamais vraiment, et qui sait pertinemment qu'il n'y parviendra jamais mais continue de faire espérer sa compagne (passionnante Penelope Anne Miller), entre en logique complète avec cette punition finale jamais trop tire-larme, habilement montrée comme une répercussion terrible mais, finalement, juste et rétablissant l'ordre des choses.


Une écriture commune, codifiée qu'on retrouve logiquement tout du long : dans ses rapports avec sa femme, avec un Sean Penn à contre-emploi et au destin conclu par une impressionnante dernière scène, dans sa manière de gérer la boîte de nuit et de retomber dans le milieu, de gérer ses rapports avec les mafieux du coin et de manquer de dureté parce qu'il a connu trop de violence, Carlito, personnage aux agissements stéréotypés mais à la personnalité intéressante, n'aurait clairement pas été aussi passionnant s'il n'avait pas été tenu par un Al Pacino en grande forme et fascinant, à la fois touchant et charismatique.


Il campait là l'une des performances les plus marquantes de sa carrière, et caractérisait son personnage avec un talent fou : Pacino incarne Carlito, lui donne corps et vie, tout autant qu'au Tony Montana hystérique de Scarface, et prouve, sans même en avoir besoin, que le boss des mafieux des films des années 70-80 est encore présent dans le paysage cinématographique et qu'il en a à revendre. S'il avait pu le rester pour des années encore...

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le 14 nov. 2019

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FloBerne

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