Howard Hawks fait partie de ces cinéastes énervants qui n'inventent rien (ni concept, ni genre, ni plans...) mais qui ont la sale manie de faire tout mieux que les autres... En tant que spectateur ce genre de cinéaste est un puits merveilleux car lorsque nous essayons de voir un canon (un ensemble de "films-étalons") dans n'importe quel genre connu et reconnu il y a pratiquement toujours un de ses films dans la liste... Hawks est principalement connu pour avoir apporté un "must" au peplum (La Terre des pharaons), au film de gangsters (Scarface) et bien sûr au western (Rio Bravo). Mais il y a un autre genre auquel son nom est à-jamais raccroché: la comédie.


C'est en 1938, à la RKO, qu'il fait son premier essai dans ce genre "glissant" et dangereux... Et combien d'autres cinéastes spécialisés dans ce genre se sont arraché les cheveux en voyant le résultat: en un seul film, Hawks avait réussi à faire LA comédie par excellence, ou plutôt la "screwball-comedy" par excellence. Ce genre typiquement américain trouve avec L'Impossible Monsieur Bébé une espèce d'aboutissement absolu qui n'a par la suite quasiment jamais été égalé ailleurs que dans les dessins-animés de Tex Avery... Son principe est simple: on commence à fond, et on n'arrête pas d'accélérer. Mais, comme on s'en doute, ce principe est aussi simple en théorie que difficile en pratique: comment faire un film sans pause, perpétuellement drôle, sans jamais être ni lassant, ni vulgaire, ni que le scénario nous échappe? Et Hawks trouve à ces questions des réponses qu'il nous restitue sans vergogne, dans son style "direct" reconnaissable, avec la caméra à hauteur d'homme cachant en fait une maîtrise impeccable des plans et de l'espace. Ce style "direct" contribue d'ailleurs à rendre ce film "humain" et à fixer notre attention qui aurait sinon facilement pu se lasser de l'effort perpétuel demandé pour suivre l'action... Ce pont va nous permettre d'aborder la première question à laquelle répond L'Impossible Monsieur Bébé:


Comment faire un film sans pause?
-en faisant en sorte que chaque action en entraîne directement une autre, et ce de manière souvent urgente pour que les personnages ne puissent pas prendre le temps de réfléchir longtemps. Hawks met ainsi dans son film un impératif de temps (Carry Grant n'a que quelques jours pour réaliser tous ses plans, et souvent pas plus de quelques minutes pour répondre à un imprévu), et lorsque l'action se passe dans des lieux plus calmes comme une maison de campagne ou un commissariat les temps de pause obligatoire sons occupés par l'amorce d'un gag à venir (anticiper les réaction d'un personnage est toujours un plaisir dans une comédie) pour finir en feu d'artifice où toutes les intrigues vont devoir se conclure simultanémant...et en se heurtant les unes les autres. De plus le film est perpétuellement "porté" par le frénétique personnage de Katharine Hepburn qui lui imprime son énergie que Carry Grant suit et "décale" à la perfection


Comment faire un film perpétuellement drôle?
-en opposant des caractères totalement opposés et "absolus". Aussi L'Impossible Monsieur Bébé prend le parti délibéré d'accepter sa propre folie: aucun personnage (à l'exception du seul psy [serait-ce délibéré?..]) n'est véritablement sain d'esprit. Carry Grant est ainsi un anthropologue totalement coincé qui vit pour son travail et qui va se découvrir lui-même en essayant de rattraper les bourdes de Katharine Hepburn qui, elle, est totalement à l'opposé: personnage dont l'égocentrisme est complet et absolu au point d'en devenir délicieux (mais oui!) elle va vivre avec la conviction profonde que celui de Carry Grant est amoureux d'elle...et elle ne va pas en décrocher. Ce retour à une passion enfantine presque animale va parfaitement bien au bestiaire du film qui est l'un des plus riches jamais vus: Monsieur Bébé est un léopard apprivoisé et adorable, et nous avons aussi droit à George le chien et à un autre léopard, complètement sauvage. Les personnages secondaires sont juste un peu moins "allumés": un alcoolo, un chasseur qui rebat toujours ses exploits passés, une vieille tante qui ne s'intéresse qu'à ce qui lui plait: la liste est longue et les enchaînements sont merveilleusement fluides et à-propos...


Comment ce film peut-il n'être jamais lassant?
-nous avons répondu en partie à cette question: les scènes et séquences s'enchaînent avec une fluidité sans pareille et la variété des personnages et situations permettent aux gags de ne jamais se répéter (ou sinon de façon totalement volontaire), ce qui fait que nous sommes toujours en quête de surprise. De plus le personnage de Katharine Hepburn est toujours imprévisible et comme elle est toujours le personnage "agissant" (alors que Carry Grant est, lui, toujours dans la "réaction") on ignore jusqu'à la dernière seconde comment elle va nous faire hurler de rire (on sait qu'elle le fera, mais pas comment...): l'intérêt est de ce fait toujours tenu en éveil. Néanmoins il est vrai que ce film exige une écoute dans de bonnes conditions et une certaine réserve d'énergie: il ne peut pas être écouté n'importe quand ni n'importe comment, ce qui est effectivement une contrainte pour le spectateur (il suffit juste de le savoir)


Comment ce film peut-il ne jamais être vulgaire?
-parce que la vulgarité est dichotomique de l'intelligence, or ce film est une merveille d'intelligence fine et subversive... Sans aucun discours social il nous montre des personnages qui se cherchent sans le savoir et qui vont se trouver au sens strict du terme par l'intermédiaire d'un animal. Aussi est-il nécessaire de bien souligner l'importance des animaux: c'est grâce à Bébé que Susan embarquera pour de bon David dans son délire, et c'est lorsque George volera l'os de David que pour le première fois elle tentera de l'aider, avant de capturer par erreur un léopard sauvage et de le traîner jusqu'au commissariat. De même David considèrera rapidement Bébé comme inoffensif, il suivra George comme un congénère pour retrouver son os et il réussira finalement à enfermer le léopard sauvage. Tout au long du film nous assistons à une mutation discrète des deux personnages principaux: Carry Grant, archétype de l'homo economicus, se laissera aller et finira par aimer Katharine Hepburn, archétype, elle, de l'homo erectus, laquelle arrivera à dominer (un peu) son égocentrisme. Une histoire de recherche de l'autre et d'amour naissant en critiquant les deux extrêmes sociétaux (le respect scrupuleux du savoir-vivre et le je-m'en-foutisme complet), porté par deux acteurs légendaires au sommet de leur forme, ça vous paraît vulgaire? Ne sous-estimons jamais la portée intellectuelle de la plus délirante des comédies: nous risquerions d'être surpris...


Comment rester toujours maître de son scénario?
-cette dernière question est peut-être la plus subjective car il n'y a pas de marqueur objectif parfaitement reconnaissable pour y répondre: il s'agit d'une impression liée à des milliers de détails infimes qui combinés font son évidence. Mais dans L'Impossible Monsieur Bébé l'évidence est bien là, elle "transpire" dans chaque image, dans chaque séquence: la maîtrise des plans et leur hauteur "humaine", l'alternance des gags, le découpage parfait apportant cette plus-value de "fraicheur", l'utilisation idéale des séquences animalières. Mais il y a deux temps très mémorables qui concernent chacun un personnage et qui "marque" de façon très visible leur évolution: le premier est ce moment d'anthologie où Carry Grant, assis sur une marche de l'escalier et habillé simplement d'un peignoir pour femme, se résigne à son sort et ne réagit même plus aux excentricités de Katharine Hepburn: pour la première fois il renonce à "paraître" et accepte de subir l'action docilement, sans s'échapper (conscient qu'il n'y arriverait pas). Le deuxième se situe plus loin dans le film, lorsque Katharine Hepburn se met à pleurer comme une gosse, dans la forêt, consciente de l'énervement de Carry Grant: c'est la première fois qu'elle pense que quelqu'un d'autre qu'elle existe et qu'elle doit en tenir compte... Ces deux temps n'arrivent pas par hasard: ils découlent d'une "usure" et prouvent que Hawks sait parfaitement "où il se trouve" et où il veut en venir...


Mais derrière toutes ces raisons "objectivables" il y a le bonheur perpétuel de regarder ce film délirant, il y a ce fou-rire qui commence au bout de deux minutes et ne cesse d'augmenter jusqu'à la scène finale, il y a ce duo légendaire Katharine Hepburn/Carry Grant qui livre ici sa plus phénoménale démonstration, il y a ces moments d'anthologie dont le simple souvenir ferait se réveiller un suicidé, il y a ce magnifique et adorable léopard: il y a la plénitude de la pureté incarnée de la screwball-comedy. Jubilatoire! Exceptionnel!

Sudena
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le 25 sept. 2015

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Sudena

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