[Critique parue dans le Jelly Brain n°11 de Septembre 2020]


Diffusé l’année dernière au Festival Lumière et récemment édité en DVD par Malavida, L’incinérateur de cadavres est un petit chef-d’œuvre méconnu du cinéma tchèque à découvrir.


Le film, sorti en 1969, fut réalisé par Juraj Herz (qui nous a malheureusement quitté en 2018), ancien disciple du grand Jan Svankmajer. Rejeté par la Nouvelle Vague Tchèque car il est vu comme un simple « animateur de marionnettes », son nom est ainsi rarement mentionné dans les ouvrages traitant du cinéma tchèque mais son œuvre est tout aussi intéressante que celle de réalisateurs plus estimés. Il commence sa carrière dans les années 60, au milieu d’un contexte politique compliqué en Tchécoslovaquie, beaucoup de films étant censurés. L’incinérateur de cadavres est le premier film pour lequel il a les mains libres. Il s’agit d’une adaptation du roman de Ladislav Fuks, qui a collaboré au scénario. Le film fut tourné en 1968, pendant l’occupation russe de la Tchécoslovaquie, et l’acteur principal Rudolf Hrušínský a dû se réfugier dans une usine par peur d’être inquiété. Ce dernier, très connu à l’époque, ne voulait pas du rôle au début car le scénario ne l’intéressait pas. Herz a dû négocier avec lui jusqu’à ce qu’il accepte.


Il raconte l’histoire d’un incinérateur passionné par son travail qui rencontre un ancien ami devenu nazi. Fasciné par la nouvelle philosophie de son camarade, il sombre peu à peu dans la folie. Le personnage principal, déjà répugnant et obsédé par la propreté (il se recoiffe environ une fois par scène), devient par extension fasciné par l’idée de pureté. Ce qui fait écho à son métier d’incinérateur, le feu ayant souvent été associé à l’idée de purification.


Doté d’une bonne dose d’humour noir que son créateur qualifie d’« humour horrifique », le film fascine par son ambiance glaçante, bien aidé par une mise en scène somptueuse. Le chef opérateur utilise un objectif déformant sur plusieurs scènes pour accentuer l’effet de malaise, en plus d’un montage rapide alternant les très gros plans et les plans subjectifs. Son travail lui a d’ailleurs valu le prix de la meilleure photographie au festival de Sitges en 1972. On peut également louer le travail de Rudolf Hrušínský qui rend le personnage profond malgré son apparente simplicité, et lui aussi reçu un prix durant le même festival.


L’incinérateur de cadavres fut interdit peu de temps après sa sortie mais fut quand même proposé aux Oscars en tant que meilleur film étranger, sans être retenu. Il fut utilisé plus tard par le régime pour montrer l’envie des intellectuels de détruire le parti communiste, ce qui explique pourquoi il n’a pas été détruit. Juraj Herz préféra quitter la Tchécoslovaquie pour continuer sa carrière ailleurs mais eut souvent des problèmes de production sur ses films suivants. Il préféra alors se tourner vers la télévision, réalisant même des épisodes de Maigret par exemple. Il paraît important de réhabiliter L’incinérateur et Herz par la même occasion, tant le film a gardé sa force subversive et critique.

Créée

le 29 oct. 2020

Critique lue 194 fois

2 j'aime

Critique lue 194 fois

2

D'autres avis sur L'Incinérateur de cadavres

L'Incinérateur de cadavres
obben
7

Critique de L'Incinérateur de cadavres par obben

Un film aussi déstabilisant que terrifiant. Cette plongée progressive dans la psyché d’un dément à la veille de la seconde guerre mondiale procure deux sentiments contradictoires. D’un côté,...

le 3 nov. 2013

17 j'aime

L'Incinérateur de cadavres
Behind_the_Mask
8

Une histoire de sang et de cendres

Un titre comme L'Incinérateur de Cadavres, cela augure du crapoteux, un déchaînement horrible, une violence débridée et graphique. Le fait que le film commence au zoo, devant la cage d'une panthère,...

le 13 nov. 2019

5 j'aime

1

L'Incinérateur de cadavres
VictorTsaconas
10

Terrifiant d'humanité!

Pareil pour L’incinérateur de Cadavres de Juraj Herz, que je vais revoir, présenté dans la carte blanche de Lucile Hadzihalilovic, film trop rare pour le rater en salles. Et quel film! Lorsqu’on est...

le 22 avr. 2016

3 j'aime

Du même critique

Alien: Covenant
RonaldFrangipane
4

Va bien te faire foutre, Ridley

Cher Ridley, Il fut un temps où j'avais beaucoup de respect pour toi, notamment après avoir pleuré des larmes de sang en regardant Blade Runner, qui reste et restera un des meilleurs films de SF de...

le 11 mai 2017

13 j'aime

9

The Thing
RonaldFrangipane
9

A Song of Ice and Fire

Le film n'a même pas encore commencé que l'ambiance s’installe déjà. La musique anxiogène d'Ennio Morricone commence à guider l'inconscient du spectateur. Le travail de Morricone est d'ailleurs...

le 3 avr. 2016

13 j'aime

2

Les Yeux dans les Bleus
RonaldFrangipane
8

Full Metal Jacquet

Avouer qu'on est fan de foot sur SensCritique, site dédié à la culture, c'est plutôt mal vu. Pourtant on peut être un amateur du beau jeu sans pour autant être un gros beauf. Tout ça pour dire que si...

le 1 sept. 2015

13 j'aime

6