Petite précision préliminaire : quel que soit le regard qu'on porte sur le contenu de "L'Incompris", il serait naïf de le considérer en premier lieu comme autre chose qu'une machination destinée à émouvoir. C'est un peu le problème avec ce genre de film, on se sent littéralement pris en otage et forcés de ressentir certaines émotions précises à certains moments précis. C'est un procédé qui peut s'avérer extrêmement dérangeant, voire contre-productif.
Sauf qu'ici, le portrait qui est fait du fils ainé au lendemain de la mort de sa mère est la preuve que le film va bien plus loin qu'un simple mélo larmoyant. Coincé entre un père qui ne connaît pas ses enfants et qui croit le plus grand suffisamment fort pour tenir le choc, et un petit frère très protégé mais au comportement difficile, Andrea, l'aîné, s'invente un monde pour se protéger. Un monde à moitié imaginaire caractéristique de cette période de l'enfance. On lui confie une responsabilité qui n'est clairement pas de son âge : cacher à son frère la vérité sur la mort de sa mère. Pour ne pas décevoir son père, Andrea tiendra sa parole mais se retrouvera dans l'impossibilité de faire son travail de deuil. Il est contraint de prendre un recul qui n'est pas de son âge. De là naîtra un certain malentendu entre les deux, le père croyant le fils insensible et égoïste, et le fils croyant que le père ne l'aime pas vraiment.
Le concerto pour piano de Mozart est sans doute un peu too much pour appuyer l'émotion à plusieurs reprises. Mais le reste du film bénéficie de suffisamment de subtilité pour excuser ce genre de facilités : des personnages ambigus, avec notamment l'oncle à l'ironie mordante, et le petit frère vulnérable mais loin d'être innocent.
On parle souvent des aspects tristes et cruels du film, mais il me semble qu'une de ses principales qualités réside dans la finesse du portrait, par touches éparses. Celui d'un pré-adolescent, son regard sur le monde, sa réaction face à l'adversité. Sa détresse et son insatiable bonne volonté sont remarquablement captées. Portrait aussi d'un père trop bouleversé pour comprendre que son fils aîné souffre peut-être plus que lui, et qu'il n'aurait pas dû lui confier une telle responsabilité. Il ne le réalisera, bien sûr, que trop tard, à la fin. Il aura fallu tout le film pour aboutir au plan dans lequel le reflet du père et du fils se pose sur le portrait de la mère, réunis un instant, alors que l'enfant (et le reflet) meurt. Les sentiments se font lucides, enfin.
[AB #118]