Les dents de la ville
Le long métrage de Lewis Teague fait l’erreur, comme nombre de productions mettant en scène des animaux mangeurs d’hommes, de tout miser sur sa créature, au demeurant fort réussie. Les conséquences...
le 16 juin 2022
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‘’Ne jetez pas de bébés alligators dans les toilettes’’. Avertissement qui vaut aussi pour les bébés serpents, et tout autres reptiles au sang froid, de la Tortue au député LaREM. Sinon après ça fait naître des légendes urbaines tenaces, et tout le monde se retrouve à connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un, sans blague, qui un jour dans les égouts a vu un croco’. Et même que c’était un jeudi, vers 16h.
Et bien figurez-vous que ce n’est pas du tout une légende, et bim ! C’est vraiment arrivé, et chez nous en plus, à Paname. En 1984 un tout petit crocodile femelle a été trouvée par des pompiers, qui l’ont choppée avec un balais et une pelle. Depuis l’animal coule des jours heureux au zoo de Vannes. Et ce n’est pas une blague.
Sinon, le bébé alligator jeté dans les toilettes c’est le postulat de départ de ‘’Alligator’’, un film de croco’ sorti en 1980, mettant en scène le regretté Robert Forster qui se bat contre un crocodile géant, à l’origine de plusieurs meurtres dans les égouts de Chicago.
Et c’est fou à quel point on ne peut s’imaginer le nombre de personnes qui fréquentent les égouts au quotidien. Ce qui peut expliquer le titre en français, qui est ‘’L’Incroyable Alligator’’. Parce qu’il vient des cabinets. Incroyable…
Dans l’ensemble, le métrage se résume un peu paresseusement à une enquête somme toute assez classique. D’aucun ne dirait banale. Robert Forster est un policier edgy, il passe de témoins en témoins, ce qui le mène à traquer l’alligator, qui fait office de tueur.
Élément tout à fait inhérent à ce genre de production.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le petit jeu de chat et de la souris entre le flic bad ass, et le crocodile serial killer, prend une tournure plutôt fun. Se permettant même de compter quelques séquences over the top plutôt cool. À l’instar de la scène plutôt jouissive où le croco’ sort des égouts en pleine rue, en défonçant le trottoir, alors qu’en le pointant du doigt un gamin s’écrit ‘’C’est celui de la tv !’’.
Si c’est avec plaisir que l’on suit un Robert Forster qui n’y croit pas une seconde, mais qui en 1980 avait visiblement la dalle, il faut aussi prendre en compte le fait qu’il existe une seconde lecture à ‘’Alligator’’. En effet, le scénario signé John Sayles, un pote de Bruce Springsteen qui a réalisé pas mal de films indépendants, se fait critique envers les dangers de l’industrie pharmaceutique. Un grand classique des années 80.
Proches des milieux ouvriers, ceux de la masse silencieuse qui font tourner les pays, ne se plaignent jamais, et sont les premières victimes des politiques capitalistes destructrices, John Sayles, sur un postulat de départ un peu bidon, parvient à placer au cœur du récit des interrogations éthiques. Malheureusement sous exploitées par Lewis Teague, un metteur en scène médiocre, qui ne fait rien de plus qu’emballer un film de monstre conventionnel.
Le plus frustrant, c’est que le projet fût durant un temps proposé à Joe Dante, qui refusa finalement l’opportunité. Toutefois, l’année suivante il mettait en scène ‘’The Howling’’, un film de loup-garou écrit par John Sayles. Qui peut, à titre de comparaison, donner une idée de ce à quoi aurait pu ressembler ‘’Alligator’’ avec Dante aux manettes.
De plus, l’action devait au départ prendre place à Milwaukee, et les raisons justifiant la taille démesurée de l’alligator étaient dû aux effluves d’une brasserie de binouze, rependues dans les égouts. Ça sentait l’fun! Au final ça se passe à Chicago, et c’est une entreprise pharmaceutique qui est responsable de la métamorphose surnaturelle du reptile.
Peu scrupuleux de la déontologie, le conglomérat (à qui Roselyne Bachelot n’aurait certainement pas rechigné à prendre commandes de quelques vaccins) maltraite des animaux sur lesquels ils font des tests. Oui c’est un film anti-spéciste, en 1980. Sans spoiler, mais un peu quand même, le dernier acte du film rend aux commanditaires du labos la monnaie de leur pièce, par un pied de nez des plus cocasses.
Bon, dans l’ensemble le film n’est pas dingue. Il y a quand même assez peu de scènes funky à se mettre sous la dent, et en plus d’avoir vieillit, il est difficile de le trouver dans une copie digne de ce nom. Même le DVD n’est qu’une VHS rippée à la va-vite. À placer dans la catégorie des ‘’Jaws-like’’, il demeure un divertissement sympa, à réserver pour les jours où l’humeur est aux crocos.
Et pour ce qui est de la belle histoire, il est cool de savoir que le salaire reçu par John Sayles pour son scénario, lui permis de réaliser son tout premier film. Lançant ainsi une carrière fructueuse de metteur en scène indépendant, jusqu’à 2013 et son dernier film en date. Et pour l’autre anecdote qui ne sert à rien, il n’est absolument pas important de prendre connaissance du fait que Bryan Cranston fût assistant de production, pour le département des effets spéciaux utilisés sur ‘’Alligator’’.
Donc au final, ça reste une série B correct, qui ne se prend pas trop au sérieux, et a à cœur de bien faire les choses. Proposant un spectacle un peu fun, légèrement décomplexé, qui s’ils s’en étaient tenus au scénario d’origine aurait pu être aujourd’hui un film culte. Résultat des courses, c’est pas le pire film de crocos, mais il reste oubliable. Une leçon à retenir cependant : ‘’Ne jetez pas de bébés alligators dans les toilettes’’. Tenez-le-vous pour dit !
-Stork._
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Créée
le 23 mai 2020
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