Dans le dernier film de Kore-eda, on retrouve non seulement le thème de la famille qui lui est très cher (comme dans Tel père, Tel fils – son meilleur film d’après nous – Une affaire de famille, Nobody knows, Notre petite sœur, entre autres), mais aussi la question de la vérité qu’il interroge à travers la fragmentation de la réalité en points de vue (rappelant là The Third Murder, mais aussi indirectement La vérité ou Les bonnes étoiles). L’exercice est acrobatique mais Kore-eda, après avoir peiné au début, finit en beauté.
Comment peut-on juger un fait ou une personne à partir du savoir fragmentaire et incomplet dont nous disposons ? Peut-on ainsi se permettre de montrer du doigt (montrer, monstrare en latin, qui a donné monstrum, monstre, titre originel du film) ce qui nous semble mal, laid, faux ? Quid prodest aperta monstrare ? (À quoi sert-il de le montrer ouvertement ?) questionnait Sénèque en parlant de la relativité de la vertu de l'autre. Étant donné notre incapacité à embrasser le tout, peut-on en effet émettre un jugement de valeur sans risquer le préjugé si ce n’est tout simplement l’erreur de jugement ? C’est face à ces problématiques que nous met Kore-eda après nous avoir placés dans la position subjective du regardeur partiel, à qui il manque des pans de réalité pour la connaître objectivement.
Pour mettre en place sa réflexion, il aborde des thèmes sociétaux tendance et, diraient certains, très wok : la mère célibataire, l’éducation, le harcèlement scolaire, la masculinité toxique et l’homosexualité chez les jeunes et prépubères enfants – de quoi mériter d’emblée la Queer Palm à Cannes, Céline Sciamma n’étant pas en compétition, délivrée, imaginons-le, au son du pathétique piano de la BO.
Plus sérieusement, le scénario, lui ayant valu un prix à Cannes, est très bien maîtrisé, même si le cinéaste nous perd un peu au début avec cet interminable conflit scolaire, qui toutefois trouvera tout son sens au long du déroulement du triptyque, principalement dans la dernière partie, la plus belle, poétique et significative, vue avec le regard de l’enfance – mention spéciale pour cette prise de vue en contre-plongée à travers la lucarne du bus, avec une catastrophe imminente rappelant Après la tempête. Un jeu d’équilibriste au bout duquel l’expérimenté et acclamé cinéaste retombe sur ses pattes.
Un nouvel opus réussi.
7,5/10