"L'innocence", "les mystères de l'enfance" ? Doit-on vraiment s'en tenir à cette lecture générale ?
S'il s'agit certes d'une histoire de mystère et d'enfance, le nouveau film Kore-eda énonce une réalité plus profonde (que la traduction comme la critique s'acharne à enfouir plus profondément encore).
Le monstre (titre original) n'est pas l'enfant, il n'est même pas innocent, sa culpabilité s'impose et l'oppose justement à l'innocence de l'enfance. La réalité qu'énonce le titre original est la volonté générale de réprimer l'expression d'un désir "monstrueux", c'est-à-dire homosexuel. Le film révèle merveilleusement bien cette opposition du désir homosexuel et du non-désir de l'innocent à travers les lieux que les corps occupent : d'un côté, l'école et la maison familiale ; de l'autre, un wagon abandonné au-delà d'un tunnel rappelant l'esthétique liminale ou la pensée foucaldienne de l'hétérotopie, le lieu autre, le lieu hors de tout localité, de toute temporalité. Il ne s'agit pas de trouver l'acteur de la répression, celui ou celle qui fait les monstres, mais ce qui dans et par ces lieux réels, s'acharne à supprimer le désir, c'est-à-dire à préserver contre l'enfant l'aliénation de l'identité. Le mystère, l'enfance, gardent en eux l'impensé qu'est le monstre, la négation de toute intériorité, de tout mystère et de toute enfance. A l'instar de l'insulte "Queer" devenu parole des insultés, "Monstre" devient un jeu, une résistance, un moyen de sortir, bref une subversion des institutions.