Quelle ne fut pas ma surprise, lors de la dernière séquence, en découvrant Alain Delon allongé par terre dans une position rappelant la pochette d'un célèbre album des Smiths... cf. cette capture d'écran. Mais plus qu'une question de ressemblance, c'est en réalité une citation directe du film d'Alain Cavalier de la part du groupe de Johnny Marr sur leur album The queen is dead. Il y a des découvertes, des révélations qui au-delà de leur aspect anecdotique, suscitent une surprise suffisamment importante pour faire d'un film une vraie curiosité.
Mais la curiosité, elle provient aussi et surtout du contexte dans lequel L'Insoumis a été réalisé. Deux ans seulement après la fin de la guerre d'Algérie et la déclaration de son indépendance, l'approche du film a de quoi surprendre. Le rapport qu'il entretient avec l'Histoire (alors récente) est étonnamment franc, le type de franchise qui conduit à une censure de l'état français (précision : il s'agit d'une interdiction suite à une plainte déposée par l'avocate Mireille Glaymann, qui avait été enlevée par l'OAS à Alger en 1962 tout comme l'héroïne du film) lors de sa sortie et à une amputation de 25 minutes de film. En 1964, OAS et FLN n'appartenaient clairement pas au passé. Si le regard contemporain ne bénéficie pas de la lucidité sur l'empire colonial d'un Pontecorvo (La Bataille d'Alger, Queimada) ou d'un Schoendoerffer (le père ! La 317e Section, Diên Biên Phu), sa rareté n'en reste pas moins exceptionnelle. Précisons tout de même que le présent film ne joue absolument pas dans la même catégorie que ses deux parents (ou devrais-je dire enfants, puisqu'il leur est antérieur) et adopte un point de vue beaucoup plus romancé, tragique, romanesque.
Alain Delon incarne un soldat égaré entre deux eaux, ayant déserté les combats contre les troupes algériennes (on imagine par conviction) pour finalement se retrouver pris dans les filets de l'OAS par opportunité économique. Son uniquement motivation semble être son Luxembourg natal et sa famille qu'il regrette d'avoir quittée pour cette guerre dénuée de sens qui le dépasse totalement. L'enlèvement et la séquestration d'une avocate française du FLN dont il est chargé constitue ainsi une mission plus financière que politique. L'occasion pour lui de se réveiller dans ce brouillard idéologique, comme un sursaut de conscience salvateur. Il s'ensuit une longue déambulation d'un appartement d'Alger à des ruches luxembourgeoises en passant par la France, un passage éprouvant pour lui, personnage, comme pour nous, spectateurs.
Les errements géographiques et idéologiques du personnage principal rappellent ceux de Jean-Louis Trintignant dans Le Conformiste (1970), à une autre époque (le début du 20ème siècle), dans un autre cadre géopolitique (l'adhésion au fascisme). La réaction à un traumatisme politique extérieur aux frontières françaises est étonnamment similaire, mais la comparaison s'arrête là : l'évolution psychologique, les considérations esthétiques et les arguments théoriques n'ont strictement rien à voir. On pourra reprocher à cet Insoumis un côté répétitif dans la seconde partie, à partir du moment où la (trop) longue fuite démarre et où le personnage souffre de blessures multiples : physiques, amoureuses, et existentielles. Le traumatisme devient bien sûr allégorique, c'est aussi celui d'un pays tout entier terrifié a posteriori par ses exactions et ses tristes décisions passées. La scène finale est à ce titre très réussie dans le portrait tragique de cet homme qui aura mis tant de temps à réaliser ses erreurs, à passer outre ses regrets, et à engager la marche arrière nécessaire.
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